Cette page doit beaucoup à l'ouvrage de Benoit GARNOT : justice et société en France au 16 ème, 17 ème et 18 ème siècle.
La définition du crime à l'époque moderne (1600-1789)
La définition de ce qu'était un crime (ce terme englobait à l'époque les infractions mineures) a beaucoup varié
entre le 16 ème et le 18 ème siècle :
Au sortir du Moyen Age, le crime se définit comme une atteinte à l'ordre de Dieu : le
blasphème, l'
hérésie, les crimes
contre les moeurs (
homosexualité, bestialité)
sont ainsi des crimes majeurs. Le
suicidé passe "en jugement" (son corps est mis en prison...) et si sa mort n'est pas le résultat d'un moment de folie, ses biens
sont confisqués, son corps est jeté sur la voie publique,...
L'emprise croissante du pouvoir royal sur la définition du crime
Le pouvoir royal reprend à son compte cette définition et ajoute les attaques contre le roi ou ses représentants - crime de lèse majesté -
et plus généralement les atteintes à l'ordre royal : le
vol sur grand chemin, la
contrebande
Progressivement cette répression est étendue à d'autres atteintes à l'ordre social :
- Au niveau de la cellule familiale,
(la famille) : le parricide et, ce qui à l'aune de nos valeurs est aujourd'hui beaucoup plus incompréhensible, le vol domestique sont punis de la peine
capitale.
- La pratique de la sorcellerie tolérée au moyen age, est devenu un crime capital à la fin du 16 ème siècle. Au 18 ème siècle
on ne brule plus les sorcier(e)s
- La mendicité, l'errance sont tolérées dans la société du moyen age. Le pouvoir royal moderne
va poursuivre implacablement les errants en créant un corps
pratiquement dédié à cette répression : la Maréchaussée. Il semble toutefois que en Bretagne ces poursuites aient été moins
sévèrement menées du fait du role profondément ancré dans la société des mendiants.
- Le duel toléré au début de la période moderne devient un crime puni de peine capitale au 17 ème siècle
(meme si, en pratique, les condamnations
sont peu nombreuses).
Le crime selon l'opinion publique
La perception qu'a l'opinion publique de la gravité de ces crimes, diverge parfois fortement de la hiérarchie établie par le pouvoir.
La communauté place très haut la
défense de l'honneur ce qui peut l'amener à pardonner les agressions physiques et parfois les homicides. La défense
de la propriété est une préocupation qui se renforce encore en temps de crise : le
voleur est percu comme une personne
particulièrement malfaisante.
Le cadre juridique
Au début du 16 ème siècle il n'existe aucune classification officielle des crimes. Progressivement le pouvoir royal va préciser par ses
ordonnances les caractéristiques des crimes soumis sans jamais réussir à unifier réellement le cadre juridique. La coutume de Bretagne
continue jusqu'à la Révolution à être une référence.
Justices royales et justices seigneuriales
Le ressort des des justices seigneuriales s'étend à tous les lieux ou un seigneur détient la haute justice c'est à dire sur une majorité
de la campagne bretonne en Bretagne.
La justice royale tente d'étendre au maximum son emprise au détriment de la justice seigneuriale.
Dans tous les cas dits "royaux", la justice royale est directement saisie. Les cas 'royaux' vont progressivement se multiplier , au point
que la justice criminelle au 18 ème siècle (vols, agressions et crimes) n'est pratiquement plus exercée que par la justice royale.
En Bretagne, les sénéchaussées, sont donc presque toujours les juridictions qui traitent les crimes les plus graves en premier instance
au 18 ème siècle.
Les procédures criminelles
Deux types de procédures peuvent être suivies par la justice : la
procédure accusatoire (procédure "à l'ordinaire") er
la
procédure
inquisitoire ("procédure à l'extraordinaire").
La procédure inquisitoire est normalement appliquée aux crimes les plus graves (homicide, récidiviste, crime de lèse majesté, ...).
Les parties (plus particulièrement le plaignant) peuvent choisir le type de procédure si le juge l'accepte. Au cours de l'instruction,
dans le cas d'une procédure inquisitoire, le juge peut décider de poursuivre par la procédure accusatoire
. On parle de "civilisation" du procès.
La procédure accusatoire
La procédure accusatoire peut donc être initialisée de 2 manières différentes : soit par la civilisation d'une procédure inquisitoire, soit
par l'envoi par le demandeur (=le plaignant) d'une assignation au défendeur (= l'accusé).
La procédure accusatoire se déroule pour l'essentiel dans le cadre d'une audience publique. Le juge, présent, est neutre, il n'intervient pas
dans les échanges qui ont lieu entre le procureur (représentant le plaignant) et l'avocat de l'accusé. Chaque partie présente
ses preuves, fait passer ses témoins. Le jugement est rendu en séance à moins que la complexité de l'affaire nécessite une audience ultérieure.
Cette procédure a la préférence des parties car ils en maitrisent le déroulement. Le plaignant peut à tout moment retirer sa plainte, l'accusé
contre attaquer,...
La procédure accusatoire est particulièrement utilisée en Bretagne (80 % des affaires traitées)
La procédure inquisitoire
Le déroulement de la procédure inquisitoire - procédure fondée par le pape Grégoire IX lorsqu'il créa la juridiction spéciale de l'Inquisition
repose sur 3 principes : écriture des pièces et des dossiers, instruction secrète, preuves rationnelles fondées sur l'aveu et
l'enquete criminelle. (le mot utilisé et les circonstances de l'apparition de cette procédure ne doivent pas nous tromper : il s'agit
d'une procédure moderne qui s'attache aux faits en appliquant une méthode rationnelle)
Le pouvoir royal au fur et à mesure de sa montée en puissance va préciser le déroulement de cette procédure, les roles respectifs du procureur
et de l'avocat, le caractère secret de la phase d'instruction, etc...
La procédure inquisitoire se subdivise en 2 phases :
- l'instruction d'une part menée par le juge criminel seul. Cette phase comprend l'audition des parties et des témoins,
la recherche des faits par des moyens de police qui sont mis au service de la justice sans autonomie
- le jugement d'autre part auquel participe tous les membres du siège de la juridiction.
Infrajustice et parajustice
Il est admis que la plupart des "crimes" étaient réglés en dehors du cadre légal soit par mise oeuvre d'une procédure officieuse à laquelle
souscrit l'ensemble de la communauté, (l "infrajustice"), soit par un règlement entre les parties sans intervention d'un tiers
(la "parajustice") :
- L'infrajustice se traduit par l'intervention d'un tiers (prêtre, notaire, consistoire,..) qui assure la médiation entre les parties
et la recherche d'un juste règlement. (le meurtre de Pierre Hélou présente un cas d'infrajustice avec intermédiation du notaire)
- la parajustice laisse peu de traces sauf lorsqu'un
un proces ultérieur amène une partie ou un témoin à l'évoquer.
Définitions
Actes et procédures
Assignation |
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Acte convoquant un tiers devant la justice : témoin, chirurgien pour une autopsie, accusé, etc...
Cet acte est généralement délivré par le sergent de la juridiction.
Photo d'une assignation de 12 témoins dans l'affaire Hélou (120 ko): (111 ko)
.
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Information |
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Enquete dans une procédure criminelle, acte contenant les dépositions des témoins. N'avait pas d'autre acception au début du 17 ème siècle.
Notre "société de l'information" a cette éthimologie !
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Répétition |
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Lecture faite à un témoin de sa déposition, pour qu'il puisse éventuellement y faire des modifications.
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Rémission (lettre de) |
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Dispense ou réduction de peine accordée par le Roi à une personne condamnée :
"Lettres patentes expédiées en chancellerie et adressées aux juges, par lesquelles le roi accordait
à un criminel la rémission de son crime, en cas que ce qu'il avait exposé à sa décharge se trouvât vrai.
On distingue la grace qui est un pardon intervenant apres la condamnation, de la lettre de rémission qui intervient avant.
Les lettres de rémission étaient fréquemment accordées dans le cas d'homicides involontaires."
Au cours du 18 ème siècle, la mise en place d'un appel systématique au parlement en cas de condamnation tend à remplacer cette
procédure. Le Parlement tranche fréquemment en adoucissant la peine ou en la réduisant (pour le parlement de Bretagne le nombre de condamnations à mort est divisé par 3 apres examen du dossier)
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Récolement |
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Lecture faite à un témoin de sa déposition, pour qu'il puisse éventuellement y faire des modifications.
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Monitoire |
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Injonction faite par le recteur aux paroissiens de révéler ce qu'ils savent à propos d'un crime sous peine d'excommunication.
Lorsque l'autorité judiciaire est à la recherche de témoignages, qu'une enquête criminelle ne débouche pas, elle demande aux
recteurs de paroisses désignées de prononcer un monitoire à la grand messe du dimanche 3 semaines de suite. Le recteur doit
retracer les circonstances du crime (sur la base d'un écrit de la juridiction) et doit enjoindre les paroissiens à témoigner.
Photo du formulaire accompagnant le monitoire au recteur de Bannalec (1673) (66 ko):
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Procédures
Procédure inquisitoire ou extraordinaire ou criminelle |
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Voir paragraphes précédents
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Procédure accusatoire ou ordinaire ou civile |
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Voir paragraphes précédents
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Structures juridiques
Sénéchaussée |
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Circonscription judiciaire royale de base. Le niveau supérieur est le présidial. Le nombre de sénéchaussées eb Bretagne a beaucoup varié :
19 sénéchaussée avant 1717, 27 à cette date, 23 en 1780 et 27 en 1789. Leur taille est également très variable : celle de Gourin
comprend 7 paroisses, celle de Ploermel 97 paroisses). Cette circonscription joue un role essentiel dans la classement des
archives royales et seigneuriales de la série B .Les paroisses du pays de Bannalec sont réparties entre les sénéchaussées de
Concarneau, Quimperlé et Gourin.
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Présidial |
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Institué en 1552, tribunal d'appel, pour une partie des sentences des sénéchaussées. C'est la juridiction d'appel
qui précède le Parlement de Bretagne
La Bretagne compte 4 présidiaux , QUIMPER qui inclut une grande partie du Finistère ( entre autres les sénéchaussées
de Gourin et Concarneau), VANNES qui inclut pour des raisons historiques la sénéchaussée de Quimperlé pourtant située
en Cornouaille, RENNES et NANTES .
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Parlement (de Bretagne) |
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Cour souveraine de justice installée à Rennes. Juridiction d'appel apres le présidial. Ce tribunal, compose de nobles,
joue un role politique , en particulier en exercant son droit de remontrances.
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Intervenants
Défendeur |
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Synonyme d'accusé dans les actes juridiques
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Demandeur |
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Synonyme de plaignant dans les actes juridiques
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Procureur |
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Un des bas officier de justice avec le notaire et le sergent. Il assiste les parties devant le juge.
Il n'a pas de mandat officiel contrairement aux autres officiers de justice. Sa présence n'est pas obligatoire.
Les procureurs étaient souvent beaucoup trop nombreux et à l'origine d'abus importants au détriment des justiciables.
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Sergent |
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Un des bas officiers de justice avec le procureur et le notaire. Il recoit son mandat du seigneur ou du Roi.
Au dehors, il délivre les exploits, assignations, opère les saisies. A l'audience le sergent joue le role
de l'appariteur ou de l'huissier. Parfois il execute certaines certaines sentences criminelles telles que
la mise au pilori.
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Notaire |
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Un des bas officier de justice avec le procureur et le sergent. Il recoit son mandat du Roi (notaire royal) ou du seigneur.
Il est chargé de rédiger les actes passés entre les justiciables de la seigneurie ou de la sénéchaussée (roi) qui l'a nommée.
Il délivre les grosses (copie de l'acte) pour execution. Il conserve les minutes (originaux).
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Greffier |
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Un des 3 officiers de justice avec le sénéchal et le procureur . Le greffier est à la fois le secrétaire et
l'archiviste de la juridiction . Il rédige les jugements et les expédie aux parties, dresse le procès
verbal des interrogatoires et comparution. Il est particulièrement impopulaire. C'est lui qui est également chargé
de dresser les inventaires apres décès des biens meubles quand une succession échoit à des héritiers indirects ou
mineurs ce qui constitue une spécificité de la province de Bretagne (ailleurs ce sont les notaires). L'inventaire
est précédé de la pose de scellés et peut être suivi du partage et de la vente totale ou partielle de l'héritage.
Les greffiers sont accusés de frauder pendant toutes ces opérations.
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Sénéchal |
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Un des 3 officiers de justice avec le procureur et le greffier. Juge et administrateur à la tête d'une
sénéchaussée, circonscription judiciaire royale de base. On désigne également par ce titre le juge principal
d'une juridiction seignuriale. C'est souvent le seul juge. Dans les grandes seineuries, il peut être assisté
d'officiers auxiliaires désignées par les termes de lieutenant civil ou criminel, alloué, rarement bailli.
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Procureur fiscal (juridiction seigneuriale) |
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Un des 3 officiers de justice avec le greffier et le sénéchal. Dans un tribunal d'une justice seigneuriale,
officier chargé de défendre les intérêts du public et du seigneur. Role analogue à celui du procureur du roi.
Il est également chargé de défendre les intérets du seigneur : recouvrement des rentes impayées, réclamation des aveux,
impunissement (refus pour non conformité de l'aveu). Peut remplacer le sénéchal si celui ci est empeché.
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Procureur du roi (sénéchaussée) |
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Un des 3 officiers de justice avec le greffier et le sénéchal. Dans un tribunal royal (sénéchaussée,...),
officier chargé de défendre les intérêts du public et aussi ceux du roi.
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Les archives
Les archives des procédures criminelles de la sénéchaussée de Concarneau
Quelques liens sur ce site :
Les archives des procédures criminelles des autres ressorts de la région
(en chantier)