En 1789 le gouvernement royal est dans une impasse financière : le pays est lourdement endetté et toutes les tentatives de réforme
du financement du budget lancées au cours des dernières années (Turgot,..) ont échoué face à la résistance des 'lobby' des privilégiés qui
ont tout à perdre des changements proposés.
Les Etats Généraux, assemblée composée des représentants des 3 ordres qui n'avait plus été sollicitée depuis 1614, sont convoqués
pour trouver une solution.
Le Tiers Etat obtient du Roi, avant cette convocation, qu'il ait autant de représentants que les 2 autres ordres réunis(noblesse et clergé).
En Bretagne les ordres privilégiés refusent ce doublement du nombre de députés du tiers état en s'abritant derrière la
défense des droits de la Province : La Bretagne aura 44 députés du tiers état, 22 députés du clergé émanant uniquement du bas-clergé (partageant
souvent les idées avancées par le tiers état) et aucun représentant de la noblesse
Les députés du Tiers Etat sont élus par des représentants des paroisses semon un mode de scrutin à 3 échelons :
Chaque paroisse désigne des représentants et rédige un cahier de Doléances
Les représentants des paroisses de la Sénéchaussée (de 10 à 50 paroisses selon le cas) rédigent un cahier des charges commun et désignent des représentants
au prorata (théoriquement) de la population
Par exemple : les sénéchaussée de Gourin, Concarneau et Quimperlé ont désigné chacune 4 représentants.
Une réunion des représentants d'arrondissement, division administrative regroupant plusieurs sénéchaussées, rédige un cahier de Doléances
commun et désigne les députés des Etats Généraux .
Par exemple l'arrondissement de Carhaix réunissait les sénéchaussées de Carhaix, Chateauneuf, Chateaulin et Quimperlé a
désigné 2 députés et un suppléant.
source : cahier de doléances publication du Conseil Général du Finistère et du Centre de Recherche Bretonne et Celtique, de F Roudaut
Dans sa lettre circulaire du 16 mars 1789 adressée aux sénéchaux de
Bretagne, le Roi écrit :
"Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets, pour nous aider à surmonter toutes les difficultés
où nous nous trouvons, relativement à l'état de nos finances, et pour établir, suivant nos voeux un ordre constant et invariable
dans toute la partie du gouvernement, qui intéresse le bonheur de nos sujets et la prospérité de notre Royaume."
La France, dont Louis XVI est le souverain depuis 1774, est en crise, une crise qui s'étend dans presque tous
les domaines, et qui est singulièrement évidente sur le plan financier. Depuis longtemps, pour ne pas dire toujours,
l'Etat vit
largement au-dessus de ses moyens, et le déficit s'accroît encore à l'époque à cause de la guerre d'indépendance américaine,
véritable gouffre financier.
Parmi les remèdes possibles, l'augmentation des rentrées, par une réduction de l'inégalité
fiscale. Mais toutes les tentatives réformatrices dans ce sens - par exemple celles de Turgot - se heurtent à l'hostilité
des privilégiés. Autre solution : l'emprunt, auquel la monarchie recourt abondamment, si bien qu'en 1788 le service de
la Dette absorbe la moitié des prévisions des recettes.
Une crise financière donc, mais aussi une crise politique et sociale : l'inégalité de la société d'ordres, - clergé, noblesse.
Tiers Etat -, apparaît de plus en plus insupportable au Tiers et plus particulièrement à la bourgeoisie. Pourtant, à la fin
de l'Ancien Régime, cette inégalité se renforce, par exemple pour ce qui concerne l'accès aux hautes charges. En 1789, presque
tous les éveques sont nobles, et la part de la noblesse dans l'épiscopat encore plus forte qu'elle ne l'était à l'époque de
Louis XIV. Dans l'armée, depuis 1781, il faut, pour devenir officier, fournir la preuve de quatre quartiers de noblesse,
c'est-à-dire de la présence de sang bleu chez ses quatre grands-parents.
Alors que les privilégiés consolident ainsi leurs avantages, le pays se trouve confronté à une dégradation de la situation
économique : crise du textile (secteur essentiel de l'industrie), effondrement des prix du vin, récoltes de céréales
déficitaires, parfois catastrophiques, autant d'éléments qui provoquent un accroissement des difficultés et la multiplication
du nombre des vagabonds.
LA CONVOCATION DES ETATS GENERAUX
Face à la crise, et devant l'échec de toutes les tentatives des ministres réformateurs, Louis XVI se résout à convoquer
- ce qui n'avait pas été fait depuis 1614 - les Etats généraux, c'est à dire une réunion de représentants des trois ordres.
La définition de la composition de l'assemblée provoque des luttes au terme desquelles le Tiers, qui représente plus de 95 %
des Français, obtient le 27 décembre 1788, que le nombre de ses représentants soit égal à celui des deux autres ordres réunis.
Pour le Tiers Etat, ce doublement ne représente néanmoins qu'une demi-victoire : si l'on vote par ordre, comme ce fut le cas
en 1614, les deux voix de l'Eglise et de la noblesse empêcheront le troisième ordre de faire passer les réformes qu'il désire
voir mettre en place. Il lui faut donc batailler pour imposer le vote par tête. et l'on sait qu'un bon mois et demi s'écoula
entre l'ouverture des Etats généraux le 5 mai et le moment où la pression du Tiers lui permit d'obtenir satisfaction : le 27
juin 1789. une semaine après le serment du Jeu de paume, et alors que la majorité du clergé et une minorité de la noblesse
avaient fini par rejoindre les députés du troisième ordre, le roi céda, reconnaissant ainsi la tranformation des Etats
généraux en Assemblée nationale.
LA SPECIFICITE BRETONNE
Au moment où est rédigé le cahier présenté ici. nous n'en sommes évidemment pas encore à ces débuts de la Révolution. Pourtant,
une agitation certaine se développe en Bretagne, et porte, entre autres, sur ce sujet de controverse qu'est le mode de
convocation aux Etats généraux, un problème encore plus discuté en Bretagne qu'il ne l'est au niveau national.
En Bretagne, en effet, il existe déjà une assemblée, les Etats de Bretagne : peuvent y participer tous les nobles, les neuf
évoques de la province, un chanoine de chaque cathédrale et les abbés de quarante abbayes, dont, dans l'actuel Finistère,
Landévennec, Saint-Mathieu, Le Relecq, Daoulas, Sainte-Croix de Quimperlé et Saint-Maurice de Carnoét. Quant au Tiers Etat,
sa représentation se réduit à une députation d'un ou deux délégués bourgeois désignés par 42 villes, au nombre desquelles
figurent Brest, Carhaix. Concarneau, Landemeau. Lesneven, Morlaix, Quimper, Quimperlé et Saint-Pol. Ni le
bas-clergé, ni le peuple des villes, ni surtout les paysans ne sont directement représentés aux Etats de Bretagne.
L'Eglise et la noblesse voudraient que la représentation bretonne aux Etats généraux soit désignée dans le cadre des Etats
de la province, alors que le Tiers exige que la Bretagne soit soumise à la même réglementation que l'ensemble du royaume.
La tension, déjà sensible depuis quelque temps entre la noblesse et le Tiers Etat, monte dans les deux années précédant
la Révolution. La dernière session des Etats de Bretagne - décembre 1788-janvier 1789 -, tenue à Rennes, se marque par des
conflits à l'intérieur de l'assemblée... et à l'extérieur : gentilshommes et étudiants en droit (jeunes bourgeois, conduits
par le Morlaisien Moreau, le futur général) s'affrontent dans les rues les armes à la main. Au terme des journées des 26 et
27 janvier 1789, on relève des morts et des blessés.
A cette date, est sorti le règlement royal fixant le mode d'élection des députés aux Etats généraux. Ce texte, du 24 janvier,
est complété, pour la Bretagne, par un règlement spécial, du 16 mars. Le roi a tranché en faveur du Tiers :
"Sa Majesté a pensé qu'il ne pouvait priver ses sujets de Bretagne, du juste droit qu'ils ont tous, ensemble ou séparément,
d'être représentés à la prochaine
Assemblée des Etats généraux. Ils sont François, et se sont montrés tels avec honneur dans tous les les dangers de l'Etat ;
ils participent à tous les intérêts de la Monarchie, ils sont associés à sa prospérité, et jouissent de tous les avantages qui
résultent de sa puissance ; aussi le plus grand nombre des habitants de
Bretagne regarderoient-ils comme un véritable malheur d'être négligés dans un moment où tous les sujets du Roi nomment
les Députés qui viendront autour de
Sa Majesté travailler avec Elle au bonheur public, à la gloire et à la prospérité de l'Etat".
Les Bretons pourront ainsi désigner 88 représentants, le Tiers ayant une représentation double de celle de chacun des
ordres privilégiés. Noblesse et haut-clergé, convoqués à Saint-Brieuc le 16 avril, refusent d'élire des députés, au nom
de la défense des droits de la province. La représentation bretonne se réduit donc à 66 personnes : 22 membres du bas-clergé -
qui a récupéré tous les sièges affectés à l'ordre de l'Eglise -et 44 délégués du Tiers Etat.
Ceux-ci sont élus dans le cadre des sénéchaussées comme dans le reste de la France, certaines de ces circonscriptions désignant
directement leurs députés, d'autres se mettant à plusieurs pour cela.
Les sénéchaussées sont des circonscriptions, à finalité essentiellement judiciaire, confiées à des officiers royaux,
c'est-à-dire des hommes titulaires de leur charge, qu'ils ont acquise à prix d'argent. Préposés à une tâche nouvelle pour eux,
la préparation des Etats généraux pour le Tiers Etat, les sénéchaux doivent faire face à un calendrier serré ; le règlement
royal date du 16 mars. Pour qu'il parvienne à la sénéchaussée avec tous les autres documents du pouvoir central,
il faut en général une bonne semaine. Il reste au sénéchal à prendre une ordonnance d'application et à la faire reproduire
au nombre d'exemplaires voulu, à faire rédiger autant de convocations et à faire porter le tout par des huissiers, des
sergents ou des cavaliers de la maréchaussée jusque dans les paroisses les plus éloignées du chef-lieu. Or le temps presse :
l'article 3 du règlement du 16 mars prévoit que les assemblées de sénéchaus-sée doivent se tenir le mercredi 1er avril.
En fait la plupart de ces réunions auront lieu postérieurement à cette date.
LES ASSEMBLEES PRIMAIRES
Plusieurs sénéchaux ont en effet choisi de reculer la date des assemblées de sénéchaussée, permettant ainsi aux habitants des
villes et des campagnes de tenir leurs réunions de façon moins précipitée. Dans les paroisses rurales, les hommes qui répondent
aux conditions évoquées plus haut - il faut être majeur et contribuable - sont invités à se réunir pour rédiger un cahier
qu'ils doivent confier à des députés, dont le nombre est du moins en principe, proportionnel à l'importance de la population,
et qui sont élus pour aller représenter la paroisse à l'assemblée de sénéchaussée. Certaines villes suivent le même mode
de désignation.
Dans d'autres, par contre, comme Brest. Landerneau, Quimper, Quimperlé. l'assemblée de ville est précédée
de réunions particulières aux corps de métiers, aux corporations, et même aux inorganisés, des réunions qui entraînent
toutes adoption de cahier et élection de députés.
Le système, on le voit, est très complexe, et il s'est traduit par la rédaction de dizaines de milliers de cahiers pour tout
le royaume. Ceux des assemblées primaires, c'est-à-dire des paroisses et des villes, peuvent décevoir au premier abord, puisque
ce ne sont pas toujours de véritables cahiers, mais parfois de simples feuilles. Certains pèchent aussi par manque d'originalité,
les comparants à l'assemblée s'étant contenté de reprendre un modèle, voire même de se rallier purement et simplement au cahier
d'une localité voisine, généralement une ville.
II faut pourtant surmonter son éventuelle déception, chercher par la comparaison avec d'autres cahiers des éléments
supplémentaires permettant de mieux comprendre les sujets de mécontentement et les aspirations des Bretons de 1789. Car,
même si, par définition, les cahiers ne présentent qu'une vision partielle de notre pays à la fin de l'Ancien Régime, ils
constituent un témoignage irremplaçable. Pour la première fois en effet la parole était largement donnée en toute liberté
à la majeure partie de la population qui, jusqu'alors, n'avait jamais été invitée à faire connaître son sentiment ni sur
le sort qui lui était réservé ni sur celui dont elle rêvait.