Seigneurs et paysans bretons de Jean GALLET

Extrait : Le domaine congéable



Le domaine congéable est une spécificité de la Basse Bretagne et le régime dominant dans la région de Scaêr et Bannalec (absence de quévaise et de fermage). L'auteur décrit son fonctionnement de manière détaillée en illustrant son propos avec de nombreux exemples. Les variantes suscitées par les différents usements en vigueur sont décrites : USement de Cornouaille (appliquée à Bannalec et Scaer), de Poher, de Broërec (Sud Morbihan), Tréguier (Cote d'Armor) et Rohan (Nord Morbihan), le plus spécifique.
Un grand nombre de paysans, presque toutes les paroisses de Basse Bretagne, sauf celles de la principauté de Léon, vivaient sous un régime très particulier : le domaine congéable. Ce régime, qui avait conservé certains traits du servage, mettait des paysans « domaniers » dans la dépendance d'un « foncier ». Il reposait sur une division peu ordinaire entre, d'une part, « le fonds » de l'exploitation, le roc nu, simple support improductif et, d'autre part, « les édifices » et « superfices » de cette même exploitation : batiments arbres, fruitiers, haies, engrais, moissons... Le fonds appartenait, en véritable propriété utile, à un foncier; tandis que les édifices appartenaient, en véritable propriété utile aussi, à une autre personne, le domanier.

La baronne de Rostrenen possédait le fonds de 79 tenues ou « convenants à domaine congéable ».
Domaniers, les Conan et les Tanguy cultivaient, en 1680, une de ces tenues dont ils possédaient les édifices. Chaque année, ils payaient à la baronne un «convenant»: 41 sols, 3 boisseaux de froment, I boisseau d'avoine et, à la place des corvées qu'ils n'effectuaient plus : II livres. Ils passaient quand même une journée à faucher les prés. La baronne avait des moulins : les Conan et Tanguy devaient faire moudre leurs grain.s à l'un de ces moulins, curer les fossés, entretenir la toiture et la chaussée. réparer la meule du moulin. Les juges de la baronnie exerçaient la justice sur les Conan et les Tanguy, lesquels, comme les autres domaniers, avaient « promis d'obéir à la cour ». Enfin, quand la baronne était à son château, les Conan et les Tanguy lui portaient du lait doux.


Ces domaniers possédaient les édifices, mais non le fonds; la baronne, propriétaire du fonds, se réservait le droit de les congédier, mais elle leur rembourserait alors la valeur de leurs édifices; les Conan et les Tanguy pourraient donc retirer le bénéfice des « améliorations » qu'ils auraient apportées à leur tenue.

L'implantation du domaine congéable


Parce qu'il donnait au domanier l'occasion de tirer bénéfice des améliorations apportées à l'exploitation, le bail à domaine congéable fut sans doute utilisé pour stimuler la reconstruction. D'autre part, il remplaça le servage, des terres serviles devinrent des terres « à domaine congéable » . Il fut aussi adopté par des propriétaires fonciers qui voulaient avoir un revenu régulier sans avoir à se soucier de la mise en valeur de leurs terres.
Le domaine congéable s'établit progressivement. Signalé pour la première fois a la fin du xiv siècle ou même au XIII ème siècle, ce contrat avait cours, en tout cas, dès le début du XVe siècle au moins. Si on accepte qu'il y avait domaine congéable lorsque des paysans tenaient des terres pour lesquelles ils payaient des « convenants ». En effet, le mot « convenant » désignait parfois une tenue, une terre et, dans ce cas, il ne désignait pas obligatoirement une tenue « à domaine congéable » : il y avait des « convenants à titre de ferme », des « convenants à titre de quévaise », des « convenants à titre de motte ». Mais, d'autres fois, le mot « convenant » avait le sens d'une rente, comme dans l'expression « payer de convenant »; il révélait alors une tenue à domaine longéable : (...)

Or, dès 1406, en Rohan, dans la paroisse de Noyal, 105 paysans, au moins, payaient des convenants :

" Le ténement qui fut Bon Le Bihan..., de convenant : 3 sols », « Le ténement Gnillou Le Roy... de convenant 3 sols... ». etc.

Dans ce document le « convenant », mêlé à d'autres rentes, ne portait que sur une partie des terres. Mais il existait.
En tout, 105 mentions identiques, en 1406'. Des indices du même genre prouvent l'application du domaine congéable, un peu plus tard, mais dès la fin du XV siècle, dans le Vannetais, jusqu'à la Vilaine , ainsi que dans l'évêché de Tréguier, à Plouigneau par exemple . Cependant, il ne s'appliquait pas encore dans toutes les exploitations.

Il subit aussi des reculs : lorsque le roi afféagea une grande partie de son domaine, ce régime disparut d'un certain nombre de villages.Néanmoins, vers la fin du xvr siècle, le domaine congéable était réputé universel presque partout en Basse-Bretagne.

Le bail à domaine congéable s'appliqua à toutes les catégories d'exploitations : tenues, métaieries, moulins, manoirs. Il ne fut pas pour autant le seul bail en vigueur : des fonciers qui ne séparaient pas les édifices du fonds, louaient leurs exploitations à titre de ferme, de métayage à la tierce ou de métayage à mi-fruits. Et la plupart des moulins et des manoirs demeuraient en dehors de ce contrat.

(...)

Les fonciers


Les domaniers avaient affaire à des seigneurs, et aussi à des « simples fonciers », et même à des particuliers sans manoir. Ces fonciers de domaines congéables étaient des nobles, qui détenaient jusqu'à 80 % des fonds, et des gens d'Eglise surtout. Parmi les nobles, des aînés, bien sûr, mais aussi des cadets, des cadettes, qui possédaient surtout des terres roturières, ce qu'étaient, en général, les terres à domaine congéable.

Quand Mademoiselle Le Mézec, dame de Kerlutu en Belz, fille aînée, hérita de sa mère, elle partagea avec ses deux sœurs. Elle reçut « les 2/3 dans le noble », mais seulement « le 1/3 dans le roturier », qui comprenait dans la paroisse de Carnac, par exemple, 17 tenues, plus ou moins grandes. Deux autres héritières, ses cadettes, obtinrent, en biens roturiers, chacune l'équivalent de ces 17 tenues .

Y eut-il une mainmise « bourgeoise » sur les fonds? Des roturiers, hommes de loi, marchands, et aussi des paysans possédaient une petite partie des fonds.

(...)

D'après ces documents, la mainmise bourgeoise ne dépassait pas 15 % des fonds.

Le monde des fonciers de domaines congéables apparaît malgré tout hétérogène. Et tous ne disposaient pas des mêmes prérogatives. Les fonciers nobles n'étaient pas, pour autant, tous et toutes, dotés de la justice. À plus forte raison les fonciers roturiers.

Des fonciers n'avaient même pas puissance de fief, ce qui se conçoit, puisque s'ils avaient eu cette puissance, ils auraient eu la justice. Il n'était pas nécessaire (partout) d'avoir puissance de fief pour disposer de domaines congéables, pour séparer le fonds des édifices et concéder les édifices « a domaine congéable » :

"Il n'est pas besoin d'avoir fief et juridiction pour avoir des convenancicrs congéables, il suffit d'avoir terre et maison à la campagne, soit noble ou roturière et les qualités des bailleurs et des preneurs ne font aucune différence en la tenue » (Usement de Tréguier)

Fonciers paysans, domaniers paysans


Les paysans possédaient des fonds. Certains se retrouvaient, à la fois, chez les fonciers et chez les édificiers. Parfois, des paysans, fonciers, concédaient des tenues à d'autres paysans, édificiers, voire aussi à des membres de leur famille.Les Guermeur tenaient des terres à domaine congéable sous deux fonciers copropriétaires, « le sieur de Coermadeuc, et... Jacquette Conan, veuve Guermeur ». Comme les Meudec-Le Pape sous un Le Pape. Comme les Le Rohellec.

Fonciers : Le Rohellec, domaniers : Le Rohellec
Claude et Pierre Le Rohellec deviennent fonciers de Jan Le Rohellec : «Jean Le Rohellec vend à Claude et Pierre Le Rohellec, a terme de racquit de 9 ans, 2 pièces de terre chaude, au village de Guerndust, Baden, 36 écus tournois, somme que Jan Le Rohellec affirme avoir reçue et dont il les quitte.
Ledit Jan Le Rohellec a pris à tyltre de ferme à convenant à domaine congéable a l'uzement de Broërec desdits acquéreurs, lesdites deux pièces de terre, pour en payer une perrée de froment rouge mesure d'Auray pendant neuf ans. » En 1600

Les Edificiers


Les « domaniers », « colons », « édificiers », « superficiaires » étaient, la plu-part du temps, des paysans, mais pas toujours. Et peut-être y eut-il là, une mainmise « bourgeoise » ou plus largement, un accaparement des édifices par des « étrangers à la paysannerie » : des bourgeois des villes mais aussi des nobles... (Etranger ne convient pas bien car, entre les paysans et les autres groupes sociaux, la séparation n'était pas totale.)

Les édifices s'achetaient. Des gens des villes, des nobles... achetaient ces édifices; ou bien, ils en héritaient par des alliances qui s'étaient conclues avec des familles paysannes.

La copropriété des édifices rend malaisée l'étude du groupe social des édificiers. Le partage égal entre roturiers - sauf en Rohan - la possibilité d'acheter des édifices... créaient une propriété des édifices très morcelée :

les édifices de la tenue Philippe à Plouagat appartenaient aux Philippe, aux Lecrocq, aux Dano, aux Rio, aux Leclercq, aux Luco, aux Le Corvoisier et à « l'écuyer Gabriel Le Vicomte », en tout 11 domaniers -''.

Tous les documents ne fournissent pas la liste complète des édificiers d'une tenue : on a souvent « un tel et consorts », et on ne sait qui se cache parmi ces consorts.

On peut dire que des édificiers n'appartenaient pas à la paysannerie.
L'escuyer François de La Bouessière, maître Pierre Le Bouil, maître François Kivoalen et le recteur de Plouvilio... possédaient les édifices de plusieurs tenues, à Glomel, « en consorterie » avec des paysans :
François de La Bouessière, consort avec « Yves Kersat, Yves Leroux et autres » ",
comme l'écuyer Gabriel Le Vicomte était, à Plouagat, consort avec les 10 autres édificiers.

Voit-on là le résultat d'un calcul? N'y avait-il pas, de la part des nobles, des notaires, des marchands, des recteurs, une spéculation sur les édifices? A Plonivel, des bourgeois de Pont-1'Abbé accaparaient les édifices, surtout les plus intéressants : ceux des bocages; aux paysans les plus pauvres ne restaient que les édifices sur méjoux, les moins lucratifs . Était-ce un fait habituel? C'est difficile à dire avec précision. Des exemples se rencontrent partout. Mais on ne peut en préciser l'importance sur un ensemble. On voit bien à Glomel, par exemple, parmi les 61 édificiers de François de Rouge, des maîtres et des prêtres, qui n'étaient que 9 et 52 paysans, mais on ne connaît pas les droits respectifs de chacun dans la propriété des édifices et il est impossible d'établir des proportions. Et c'est souvent le cas.

On sait toutefois que les édificiers ne formaient pas une catégorie totalement homogène, et qu'une partie d'entre eux avait abandonné les travaux des champs. C'est cette catégorie dont il faudrait étudier l'importance et les progrès.

Paysans exclus des édifices


Si la plus grande partie des édifices était possédée par des paysans, tous les paysans n'étaient pas des domaniers. Parmi les domaniers d'une paroisse ou d'une seigneurie, les mêmes noms reviennent souvent : des familles paysannes monopolisaient les édifices. De ce fait, d'autres paysans se trouvaient exclus de la propriété des édifices. Ils étaient laboureurs peut-être, ou journaliers ou fermiers ou métayers, mais dépourvus de droits édificiers. Là encore, difficile de dénombrer ces paysans exclus de la propriété des édifices.

Les fermiers des édifices


L'édificier ne travaillait pas toujours les terres dont il possédait les édifices. Fréquemment, ces domaniers recouraient à des fermiers. La propriété des édifices et l'exploitation ne coïncidaient pas obligatoirement.
Les domaniers n'habitaient évidemment pas tous dans la tenue dont ils étaient coédificiers.

Parmi les consorts du convenant Kergoat, paroisse de Pleyber-Christ, quatre habitaient Pleyber-Saint-Thégonnec et Plounéour-Ménez. Les Renaud qui possédaient la tenue de Quenhouet en Plaudren, habitaient les uns, le bourg de Plaudren, les autres, le village de Rénal, le village de Botera, le moulin de Kérisac, la métairie de Kerbolher 24.

Souvent, un ou deux des domaniers coédificiers habitaient la tenue. Parfois aucun d'eux... D'autre part, les notaires, les recteurs, les marchands... ne travaillaient pas les tenues dont ils avaient une part d'édifices. Des domaniers n'exploitaient donc pas les tenues dont ils possédaient pourtant une part d'édifices; et les paysans qui travaillaient ces tenues étaient, vis-à-vis de ces édificiers, des fermiers.

Le « bail à ferme » s'appelait une « sous-ferme » ; les usements le prévoyaient. Des domaniers louaient donc l'exploitation, créant un nouvel étage dans la hiérarchie : le foncier avait « sous lui » un domanier, ce domanier avait « sous lui » un fermier.

Difficiles à détecter, eux aussi, car souvent conclus par accords verbaux, les fermages n'ont laissé dans les archives que des traces occasionnelles : dans une déclaration pour le vingtième, dans un acte d'appropriement, dans un aveu bien détaillé. La réalité semble bien supérieure aux chiffres obtenus à partir de ces documents : tout édificier qui n'habitait pas dans la tenue dont il possédait une part d'édifices avait, obligatoirement, un fermier, pour sa portion des édifices.
Bien des fermages avaient lieu entre les domaniers eux-mêmes. Tous les consorts d'une tenue s'en remettaient à l'un d'eux, qui demeurait dans la tenue dont il avait une part d'édifices, et qui était le fermier des autres pour les portions qui leur appartenaient.
D'autres fermiers n'avaient, au contraire, aucune pan dans les édifices de la tenue qu'ils exploitaient. Le fermier supportait toutes les charges, et s'il y avait un bénéfice à tirer de l'exploitation, il n'en avait que la plus petite part.

'Ferme d'édifices ' Rolland, édificier demeurant a Pontivy, baille a ferme une tenue à domaine congéable,... en Guern. Le bail est conclu pour 7 ans. Le bailleur se réserve une chambre, le preneur doit payer 240 livres par an, acquitter toutes les charges (dont le convenant et les corvées au foncier, les impôts, le guet, les corvées royales), il doit réparer les couvertures et les fossés au moins 1°) jours par an, planter des \ pommiers, égobuer et semer de la graine de lande. Il ne peut pas couper d'arbre sur pied ni tête ni vendre les bois. En entrant, il paie à l'édificier 36 livres d'épingles ". N.B. : C'est l'édificier, et non le foncier, qui passe le contrat avec le fermier.

Les usements


Les relations encre les fonciers et leurs domaniers se réglaient par des usages transmis oralement, connus par des enquêtes par turbes, comme celle de Rohan en 1476, et consignés par écrit en 1581 : usements de Cornouaille, de Poher (Carhaix), de Trégor et Goëllo, de Rohan, du Broërec 26. Les usements différaient par des détails, mais ils avaient beaucoup de points communs.

Posséder les édifices


Les « édifices », « superfices », « droits convenanciers » appelés aussi « droits réparatoires », « améliorations », comprenaient les maisons, les appentis, les granges, les hangars, les puits et les fours, les haies, talus (formés de pierres) et fossés (formés de terre amoncelée), les barrières, les arbres fruitiers - mais non les arbres de futaie et de décoration - les bois enlevables, c'est-à-dire les branches que le domanier pouvait couper, les « engrais libres », dans la cour de la ferme, les « engrais en terre », « les fruits en terre et pendants » (les récoltes), les suites de récolte ou « trempes » qui amélioraient le sol, le « tissu » des prés et des prairies, les « passées » (peut-être les genêts et landes qui avaient « passé » un an?), les « veillons » ou foin séché. La tenue complète, les champs avec la maison, s'appelait « tenue logée », « tenue vêtue », et la tenue qui ne comportait que des champs, sans maison : « tenue par-dehors ».

Mesurage et prisage des édifices

Paroisse de Beuzec, village de Kercoabec, Le Gallic , veuve Kerven contre Marie Kerven, les 20 et 21 juin 1742.

"Par ar pors, terres chaudes, 42 cordes 3/4 édifices estimés avec les bois enlevables y étant, le blé noir ensemencé, stucs, clayes et fruitiers 183 livres 5 sols,... etc" (8 parcelles de terre chaude).

Par Moan, terre froide, 22 cordes 1/2 édifice, estimés avec les litières, veillons, clayes et passée, 70 livres, 6 sols et 4 deniers etc.. (5 parcelles de terres froides).

L'auvent sur l'aire, le four, la crêche, un appentis, l'auvent à charettes, une maison à trois pignons, estimée avec tous ses éligements considérés par le menu, 469 livres, 7 sols.




Les édifices passaient pour « immeubles » au regard du domanier, mais pour « meubles » au regard du foncier.
Propriétaire des édifices, le domanier, « seigneur superficiaire », « seigneur des édifices», pouvait louer ces édifices, les hypothéquer, les vendre - ci, dans ce cas, le retrait lignager pouvait s'exercer - y établir un douaire et, souvent, en disposer par testament. Son droit de propriété n'était pourtant pas total. Il ne disposait que des fruitiers et des brandies des autres arbres - ainsi que du mort-bois ou bois puinais. « Dès que les arbres pouvaient soutenir l'échelle, ils appartenaient au foncier. Les domaniers écouronnaient les chênes. les hêtres et les châtaigniers (qui n'étaient pas considérés comme fruitiers), et courbaient les souches le long des fossés pour qu'elles ne donnent que des émondes ». D'autre part, le foncier pouvait abattre le bois par le pied sur le convenant de son domanier; il dédommageait le domanier ''; il le privait tout de même des émondes.

L'autorisation du foncier s'imposait souvent. En particulier, lorsque le domanier voulait construire de nouveaux édifices, surtout des édifices « somptuaires ». « voluptueux », notamment « bâtir sur de nouveaux fondements », percer de « nouvelles portes », couvrir « d'ardoises »... Le foncier avait le droit de ne pas rembourser les édifices construits sans permission, sauf après « les six ans de la perfection de l'oeuvre » . Les édificiers ne devaient pas « grever les fonds », c'est-à-dire construire de telle sorte que les édifices dépassent la valeur du fonds ou atteignent une valeur telle que le foncier ne soit pas en mesure de rembourser l'édificier et de refaire l'unité de la tenue.

Malgré tout, les domaniers ont construit, et la valeur des édifices a augmenté considérablement. Au début, les fonciers poussaient les domaniers à construire, cette obligation figurait dans les contrats. Ensuite, les fonciers ont limite la construction. Les édifices dépassaient la valeur des fonds. Le fait devait être assez général puisqu'en 1647, aux états de Bretagne, les nobles se plaignaient :

Les domainiers construisent tellement que les fonciers ne peuvent les congédier sans des remboursements qui excèdent la valeur des fonds".

En conséquence, ils demandaient que les édifices et droits réparatoires ne soient pas prisés au-delà de la moitié ou des 2/3 du fonds ou de la rente des convenants.

Le domanier pouvait vendre ses édifices ou les hypothéquer. Cependant, il devait le plus souvent, là encore, obtenir l'autorisation du foncier. D'après l'usement de Tréguier, le foncier avait alors droit à récompense. En Rohan, ie foncier avait un droit de préemption. En définitive, le foncier restait le maître du destin de la tenue. Habituellement, les domaniers partageaient l'héritage des édifices à parts . l'aies "'. Sur ce sujet, l'usement de Rohan se distinguait des autres usements.

La déshérence en Rohan


En Rohan, la transmission des édifices aux héritiers était limitée et, d'autre part, l'entant dernier-né était avantagé. Si le domanier décédait sans héritiers directs, sans enfants, la tenue tombait en déshérence. Pendant la déshérence, le foncier jouissait de la rente du fermier des édifices en déshérence; il prenait possession des édifices ou bien il les vendait...

Déshérence au profit du duc de Rohan

« Contrat de vente. Entre Augustin Plancher, fermier général du duché de Rohan, vendeur, et Pierre Potel, demeurant au village de Potel, paroisse de Plengriffet, acquéreur, d'une tenue tombée en déshérence par le décès sans hoir de chair de René Duaud, au village de Lescat, en la paroisse de Crédinm, à la charge de la tenir a domaine congéable sous monsieur le duc de Rohan, pour la somme de 610 livres »



Déshérence au profit du seigneur de Coëtniel

- Edificier :
« Louisee Yvonne Aiidic, veuve du sieur Eustache Ruaut de la Porte, et fille de Jean Audic, sieur de Kerouan.
Elle était propriétaire des édifices d'une tenue a domaine congéable. « sous le seigneur de Coëtniel ». foncier.
Elle meurt. Sans hoir.
- foncier :
Le seigneur de Coëtniel, Jacques-Paul de Kérangal.
-Après le décès de L.-Y. Audic, le foncier jouit de la rente du fermier, puis vend les édifices a Le Tresse, laboureur, 7 700 livres et 120 livres d'épingles.
Les collatéraux ont peut-être quelques droits sur les fumiers et marnix, mais rien de plus


Le domanier qui n'avait pas d'enfant ne pouvait pas vendre, car, en vendant, il frustrait le foncier du bénéfice de la déshérence. En cas d'extrême nécessité, une telle vente était permise, mais le foncier touchait alors 20 % du prix de vente.

Le domanier ne pouvait léguer ses édifices qu'à ses seuls enfants ou, a défaut, à ses propres frères et sœurs, mais à la condition que ces frères et sœurs soient restés avec lui dans la tenue et ne soient pas mariés.

La juveignerie en Rohan


Et parmi les héritiers, avantage était donné au « juveigneur », c'est-à-dire au dernier-né des garçons ou, à défaut de garçons, à la dernière des filles : le juveigneur héritait de la totalité des édifices d'une tenue — et non des édifices de toutes les tenues de l'héritage. (...)

L'unité de la tenue


Comme dans les terres serviles, la tenue à domaine congéable ne se divisait pas.
Les différents propriétaires des édifices devaient rester dans l'indivision.

Dans le convenant Kergoat, en Pleyber-Christ (a. de Morlaix), qui appartenait aux Meudec, aux Simon, aux Herlan, aux Joncour..., des parcelles de terre, la soue à pourceaux, le courril, la paillée, le jardin, appartenaient à tous; le four et la fontaine restaient en commun; des biens appartenaient à deux ou trois ensemble : un parc à «Joncour, Meudec et Simon »...; des parcelles et des bâtiments appartenaient à certains, individuellement : la portion de Simon, celle de Meudec, celle de P. Herlan, des chambres, des parcelles de terre, 1 escalier même... étaient divisés en portions, chaque portion appartenant en propre à un domanier : le bout de la chambre à Simon, l'autre bout à Olhvier Meudec. Mais ces différentes parts formaient une seule et même exploitation.

Si les domaniers, ceux de Cornouaille en tout cas, vendaient l'ensemble des édifices, le seigneur ne pouvait pas les empêcher. Mais, s'ils voulaient vendre une partie seulement des édifices, il leur fallait obtenir « le congé », c'est-à-dire la permission ou, peut-être, le congément.

Le partage des édifices

En Cornouaille :
« Ils peuvent vendre les édifices à qui bon leur semble sans diminution de la rente, et ne peuvent les seigneurs les en empêcher, moyennant que la vente se fasse du tout ensemble, et non d'une portion sans l'autre: auquel cas il leur faut avoir leur " congé " à cause de la division de la rente, changement de main et d'homme. » Art. 18.

En Broenec :
Les droits réparatoires au respect du domanier détenteur sont réputés immeubles et susceptibles d'hypothèques, de retrait lignager. mais non de division ou partage.

j En Rohan : « Et ne se peuvent lesdites tenues diviser sans le consentement du seigneur et du détenteur. » Art. 9. p. 408.
On pouvait, au contraire, rassembler des acquêts et former une seule tenue laquelle restera, ensuite, indivisible (Rohan, 24).

! Qu'il vende les édifices ou qu'il les destine a ses héritiers, le domanier ne devait pas diviser la tenue et la rente qui était due au foncier : cette disposition paraît essentielle au bail à domaine congéable. La rente restait entière. Et le foncier obligeait l'un des édificiers à la lui livrer en totalité.
Ces mesures obligeaient les héritiers à rester dans l'indivision ou à remettre tous les édifices entre les mains de l'un d'eux.

Les charges du domanier


Les édificiers devaient payer des rentes, effectuer plusieurs jours de corvées, suivre le moulin, faire chacun son tour la levée des rentes du foncier, délivrer des déclarations (avec des états des lieux souvent très précis : dimensions des portes et des fenêtres, nombre de poutres des plafonds..., obéir à la cour).

Les corvées


Les domaniers devaient des corvées pour battre, faucher, faner, rentrer les grains et les foins, pour transporter du bois, du vin, des ardoises..., pour réparer les moulins et les maisons des fonciers, avec ou sans attelage, selon les capacités de chacun. Les déplacements ne devaient pas excéder une journée aller et retour en Rohan; des corvées extraordinaires pouvaient obliger à joindre le prochain port de mer. Le foncier nourrissait les hommes et les chevaux.

Ces corvées n'étaient pas « à merci » ou « à la volonté du foncier ». D'après les usements, elles étaient limitées : neuf jours par an. Mais, souvent, comme en Rohan, faner tous les foins ne comptait que pour une corvée. De même, le domanier de Rohan devait donner jusqu'à « une journée par semaine » pour les réparations : 52 jours par an, ce qui est considérable.
De plus, des seigneurs exigeaient des corvées pour leurs châteaux, et le seigneur de Kergoat, près de Carhaix, avait fait reconstruire son château par corvées, en utilisant de façon abusive ses corvéables ' .
Assez souvent, les corvées se payaient en argent, selon certaines équivalences, dont celle donnée par le Parlement ; 11-12 livres par an, «par foyer fiscal de 6 ou 7 tenanciers ».

Le foncier qui le voulait pouvait disposer d'un nombre important de corvéables, pendant plus d'une semaine, et au moment où les domaniers avaient besoin de leur temps pour leurs propres travaux. Les fonciers disposaient de moyens de pression pour, éventuellement, obtenir ce « qu'ils voulaient ». Ont-ils outrepassé leurs droits? D'après les aveux de 1680, jamais ou presque, les corvées ne dépassaient les 12 livres prévues par le Parlement; mais il est difficile de savoir si cette somme était due par chaque tenue ou, comme le règlement l'indiquait, par plusieurs tenues faisant ensemble le foyer fiscal.

Le convenant


Le domanier devait une rente : le « convenant » ou « rente convenancière ». La rente pouvait être simple : une somme d'argent ou une mesure de grains.

« Lorsque les détenteurs roturiers payent rente par deniers, bled, avoine, chapons, poules et corvées, et suivent le moulin du seigneur, ils sont censés domaniers congéables. Le seigneur étant en possession de l'une ou chacune de telles rentes et prestations a la présomption pour lui... une seule espèce des dites rentes suffit »

Le plus souvent, cependant, la rente comprenait de l'argent, des grains, des poules.


(...)
Le convenant se payait en plusieurs termes :
à Noël, premier jour de mai, et premier jour de septembre pour Rohan ; « les rentes par deniers auxdits termes tiers à tiers, et les rentes par grains et poules à chaque premier jour de septembre, s'il n'y a convention contraire».
Chaque seigneur, chaque foncier, avait ses usages.

A l'origine, le convenant avait un caractère récognitif: il prouvait la concession des édifices. Il n'avait pas une grande valeur, et ce convenant n'était pas obligatoirement en rapport avec la valeur des terres...
« la rente est souvent fort médiocre égard aux grandes issues et largesses desquelles louissent les rustiques audit comté... hors l'Armorique d'icelui ».

« II n'est pas nécessaire qu'elle équipolle au revenu de l'héritage prétendu congéable, le seigneur faisant sa condition comme il peut ou comme il lui plaist, et y ayant plusieurs tenues audit terroir, dont les détenteurs paient de petites sommes de deniers ou autres légères prestations, quoique les tenues soient de très grand revenu . »


Progressivement, la valeur des convenants augmenta. Les domaniers mettaient des « enchères », des « creues », correspondant à la valeur des édifices construits ou à construire.

.. A cause d'une crue pour une petite pièce de terre, par chacun an de convenant. 20 deniers. Quille Le Brun Guère et Jean... doivent de convenant, 24 sois de convenant et outre, de crue, 12 deniers de convenant, et 6 boisseaux d'avoine grosse et 3 poules ". »

Cependant, les convenants devaient rester faibles, « proportionnés au prix commun d'un ancien convenant ».
D'autres hausses intervinrent par la suite, selon des techniques diverses. Le foncier adoptait une mesure plus grande, passant de la mesure d'Auray a la mesure de Vannes, du « crible de Molac » au crible de Glomel, du boisseau de Lanvollon (4,696 dal) au boisseau de Paimpol (5,511 dal), de la mesure « caignarde » à l'ancienne mesure (antérieure à 1581), et de cette ancienne mesure à la « mesure nouvellement réformée », celle établie en 1581, de la mesure ride (4,250 pour le froment en Goëllo) à la mesure marchande (4,855, même denrée, même pays), à la mesure comble (5,460)... ou mieux encore : à la « mesure comble, foulée et recomblée » ; le gain pouvait être considérable.

Autrement, le foncier augmentait chacun des éléments de la rente, variait les rentes en nature, ajoutait du froment et du seigle, des moutons, des cochons, du poisson, du beurre, passait d'un champart « à la quarte » à un champart « à la tierce », ajoutait une rente au convenant originel, appelant le tout « la rente et le convenant » ou mesurait la tenue, et mettait le convenant en rapport avec le revenu .
Enfin, les « nouveautés » ou « commissions », pots-de-vin payés à chaque renouvellement de baillée, deve-naient de plus en plus élevées.

(...) Néanmoins, beaucoup de convenants restaient très traditionnels et se devaient « comme de coutume ».
Il y a bien des exemples de hausses massives; sur les côtes, par exemple. Mais, en général, il semble que la hausse du prélèvement n'a pas été considérable, compte tenu de l'augmentation de la valeur prise par les édifices. Dans une grande partie des cas, et surtout jusqu'à la fin du XVIIe siècle, le convenant conserva ce caractère coutumier. (...)

Les bénéfices du foncier et ceux du domainier


Le résultat des différentes politiques des fonciers peut se mesurer au milieu du xv ni1 siècle, dans les déclarations des revenus des fonciers et des revenus des domaniers. Si tous les domaniers ressemblaient à ceux de Plouigneau, il leur restait, après avoir payé le foncier, une bonne partie de la valeur locative des terres.(...)

Plouigneau frairie de Kerscoff vers 1756 (....)

Le revenu du domanier est bien un revenu net, ce qui lui reste, toutes charges déduites, somme sur laquelle il est imposé. Les charges sont précisées «distraites» quand le domanier n'a pas de fermier (...) Autrement, c'est le fermier qui paie les charges, ce qui revient a dire que le revenu du domanier est net de ces charges. Les revenus du domanier étaient au moins le double de ceux du foncier. Sauf quand le foncier était un paysan. (...)

' | La différence entre la valeur du convenant et la valeur locarive permettait au domanier de louer les édifices et d'en tirer un bon prix.

Une tenue a 16 livres de convenant se louait 160 livres, une autre de 12 livres de convenant se louait 412 livres ou 12 livres et 24 boisseaux de froment et 40 boisseaux d'orge, et une autre tenue de convenant de 24 livres, se louait 466 livres, a Plomvel, au XVIIIe siècle : le seigneur de Lestradiagat avait peu augmenté ses convenants, les bénéfices de ses domaniers restaient importants.

Toutes les situations se présentaient. Sans doute, y avait-il aussi des fonciers plus exigeants, et des domaniers qui ne réussissaient pas à payer leurs convenants. (...)

Le congément des domaniers


Vis-à-vis de ses domaniers, le foncier gardait toujours une arme redoutable : la faculté de congédier.
La propriété des édifices était précaire. Le foncier pouvait congédier le domanier après l'avoir réparé, c'est-à-dire après lui avoir rembourse la valeur de ses édifices.

La baillée à Vincent Alain, marchand d'Auray

lorsque Vincent Alain obtint d'un foncier une baillée de la tenue Lindrac, Brech, prés d'Auray, il obtint également le droit de congédier après remhoursement des édifices, les domaniers, Jean Cosic et Françoise Lindrac. Le foncier lui avait octroyé la baillée de l'ensemble de la tenue Lindrac et l'avait « subrogé dans ses droits » pour congédier.
Vincent Alain avait déjà un pied dans la tenue : il était propriétaire d'une moitié des édifices achetés a Françoise Lindrac et Jean Cosic;
il était consort, avec eux, dans la propriété des édifices. Par la nouvelle baillée qu'il venait d'obtenir, et le congément qui allait suivre, Vincent Alain, payant à ses consorts leur part d'édifices, obtiendrait la totalité des édifices de la tenue.

On ne connaît évidemment pas tous les dessous de l'affaire. À première vue, l'exemple pourrait montrer la précarité de la situation des domaniers : a la merci des ambitions des rivaux et aussi des choix des fonciers, vivant sous la menace permanente d'une expulsion contre laquelle ils n'avaient pas de défense. Peut-être même les paysans ont-ils redouté une expulsion collective qui aurait jeté sur les chemins tous les domaniers d'une paroisse.

La chanson des gens de Plouyé

" Ecoutez tous, gens de Plouyé,
Ecoutez bien ce qui va être publié :
Que dans le jour et l'an soit faite l'estimation
De ce qui appartient en propre à chacun d'entre vous :
vos édifices et vos fumiers;
Que l'estimation soit faite a vos frais,
Et allez ailleurs, vous et les vôtres,
Avec votre argent neuf,
Chercher un perchoir. »

« Le prince de Guémené rentre quand il lui plaît »

Prévu par les usements, le congé s'effectuait en effet au gré des fonciers. S'il n'y avait pas de baillée, mais une reconduction tacite, le foncier pouvait congédier à tout moment.
S'il y avait une baillée, le foncier, souvent, devait attendre le terme, sauf si, par exemple, il voulait se loger dans la tenue.
Le domanier avait parfois une garantie : les nouveautés, somme importante qu'il payait à l'entrée dans la tenue, et aussi au renouvellement de la baillée; à la fois autorisation de construire, caution prise par le foncier pour se prémunir contre un mauvais entretien des édifices ou encore une avance sur les convenants, les nouveautés étaient aussi une assurance de ne pas être congédié avant l'expiration du temps prévu par la baillée.
Mais, là encore, le foncier restait souvent maître du jeu : parfois il s'était réservé le droit de congédier « en remboursant les nouveautés au prorata du temps qui restait à courir ».
Le tribunal ordonnait le congé, et les opérations allaient très vite.

Tout pouvait aller plus vite si, par exemple, des domaniers avaient commis une infraction.
L'inverse ne se concevait pas : le domanier ne pouvait pas forcer le foncier à le réparer. Ce domanier pouvait s'en aller, abandonner la tenue, « déguerpir » : en s'en allant, ayant payé l'arrérage, et laissant la tenue en bon état : il perdait purement et simplement la valeur de ses édifices.
A moins que les édificiers n'aient, entre eux, divisé la tenue, forçant (?) peut-être le seigneur à opérer le congément. Deux frères, qui ne pouvaient plus vivre ensemble, décidèrent de se séparer. « Ce que ne pouvant souffrir », le foncier subrogea l'un des deux qui congédia l'autre .

Le prisage des édifices


Les édifices s'estimaient par le menu, au prix coûtant à l'époque du congément, avec les réductions pour vétusté. Les experts faisaient donc attention à la forme, aux dimensions et aux matériaux des murs, des toits, des pavés, des poutres, poutrelles, planchers, cloisons, foyers, portes, fenêtres, escaliers, barrières, talus... au nombre et à l'espèce des arbres convenanciers, à l'âge et à l'essence des émondes, à l'espèce de la récolte en terre...

Les frais variables, sans doute, se sont élevés à 5 % de la valeur du congé Le Barbier, qui portait sur près de 5 000 livres.
Parfois, le foncier remboursait lui-même les édificiers congédiés; dans ce cas, les frais de mesurage étaient à sa charge. Le plus souvent, le foncier ne remboursait pas lui-même; c'était le nouvel entrant, le nouveau preneur, qui, subrogé dans les droits du foncier, effectuait le règlement : dans ce cas, il payait aussi les frais du prisage. La revue était aux frais de celui qui la demandait. Parfois, tous les frais étaient a la charge des domaniers, « le domanier payait pour se faire expulser » (L Dubreuil). ou « pour obtenir le prix de ses édifices».

Le paiement des édifices


Le domanier congédié s'en allait en emportant la valeur des édifices; une partie de ses fumiers, stucs, marnix en terre, avaient été estimés. Il jouirait d'une partie de sa récolte. Si le congé avait lieu avant mai. la récolte n'était estimée qu'au prix de la semence.

Lors du paiement des édifices, le congédiant apportait en argent la valeur des édifices. Les créanciers prenaient leur part : les avances d'argent consentis avec hypothèques sur les édifices. Le foncier, le cas échéant, prenait des convenants en retard. Les veuves réclamaient leurs douaires. Les édificiers se partageaient le reste. Entre eux, ils apuraient des comptes : au besoin, ils passaient d'autres conventions. C'était aussi occasion d'enregistrer des contrats verbaux et des conventions diverses.
Interpellé par un de ses consorts, au cours du paiement des édifices, Michel Le Bihan reconnaissait avoir verbalement vendu à Louis son frère un sixième indivis de la propriété héritée de leur père, et, recevant, à l'occasion de ce congément, le paiement de cette vente, il renonçait à toute prétention sur l'héritage, le greffier consignait la réponse dans le compte rendu du congément.


Congé Le Lagadec-Luco, en 1633

Après le décès du père Yvon Le Lagadec, les ayants droit : 7 enfants issus d'un premier mariage : ' et la seconde épouse du défunt, Jeanne Luco.

Total des édifices : 1 203 £................. dont les biens du père : 733 £, les biens de la communauté avec la 2ème épouse : 470 l.

Le congédiant a apporté la somme qui est déposée sur la table.

Il y a une dette vis-à-vis du congédiant et de ses frères et sœurs : 240 livres, dette à prendre sur les biens de la communauté.

Sur les biens paternels, la veuve demande son douaire : 244 livres. Reste : 733 - 244 = 489 £.

Sur les biens de la communauté, le congédiant veut, pour lui et ses frères et sœurs, une somme de 240 livres, soit le montant de la dot de sa défunte épouse. dot qui avait été mise à la disposition de la maisonnée ; de ces 240 livres, il aurait, d'une part, la moitié pour lui seul, et l'autre moitié avec ses 6 frères et sœurs.

De ce qui reste des biens de la communauté (470 £ - 240 £, soit 230 £), la veuve prend la moitié (115 l), et les 7 enfants (dont le congédiant) l'autre moitié.


Répartition définitive :

Jeanne Luco, veuve en secondes noces,................................... 359 £
soit : son douaire ........................................244 £
+ 1/2 des biens de la communauté ............235 £
total........................................................... 479 £
moins sa part de la dette...................... 120 £ (= 359 £)

La part de la veuve enlevée, restent : l 203 £ - 359 £ = 844 £

Chacun des 6 frères et sœurs congédiés......... 86 £ 6 s
soit 1/7 des biens paternels (489 £)...................... 69 £ 17 s
+ 1/7 de la moitié des biens communs ................. 33 £ 11 s
Total.................................................................... 103 £ 8 s
moins 1/7 de la moitié de la dette ....................... 17 £ 2s
Et pour les six enfants congédiés, en tout............................ 517 £ 16 s

Le congédiant ......................................................................... 326 £,
soit 1/7 des biens paternels.................................... 69 £ 17 s
+ 1/7 de la moitié des biens communs .................. 33 £ 11 s
+ la moitié de la dette.......................................... 120 £
+ les 6/7 de la moitié de la dette ........................ 102 £ 12 s
Total (359 l + 517 l 16 s + 326 l).................................. 1 202 £ 16 s".

Les congédiés devaient vider la tenue : la mesure a une portée même si les congédiés n'habitaient pas la tenue auparavant; après le congément, ils ne pouvaient plus y faire paître des bestiaux, y faire exécuter un travail quelconque ou y introduire un fermier :
Sylvestre Le Porhiel congédié d'un parc par le foncier, le sieur de Kerléan Boyer, à Melgven, aurait bien les avoines croissant dans ce parc, mais il ne pourrait plus, dès la conclusion du congé, faire pâturer son bétail sur les cruières.
Les domaniers qui n'habitaient pas la tenue congédiée ne se retrouvaient pas, réellement, « sur le carreau ». Par contre, ils avaient de l'argent. Pour eux, le congément se soldait par la nécessité de trouver un nouvel investissement.

Interprétations


Les critiques n'ont pas manqué.
L'imagerie révolutionnaire présente le domanier périodiquement jeté sur la rue, privé de ses récoltes, sans exploitation, victime d'une agression du foncier ou de son «subrogé» qui s'introduisait dans la place ou encore, écartelé entre la perte de ses édifices ou bien la hausse de la rente et des nouveautés.

« Élixir "de la féodalité loi cruelle », «faculté monstrueuse » écrivait Le Quinio, qui militait en faveur des domaniers, et qui faisait dire au foncier :

" il y a neuf ans, tu m'as payé telle somme pour tes édifices et superfices; pendant tout ce laps de temps, tu as sué sang et eau pour améliorer la surface de la tenue, tu as fait des prairies, planté des vergers, défriché des landes... Ton travail t'aurait acquis de justes droits à une permanence absolue. Eh bien! moi, je vais te congédier, t'expulser ou tu vas me donner telle somme de nouveautés et tant d'accroissement de rente annuelle. Si tu ne me les donnes pas, ton voisin qui voit la tenue en bon état, me le donnera, lui, et me fournira de quoi te rembourser »

L'idée est pourtant plus ancienne :

Information du comte Dessuille pour monsieur de Galonné

« Les seigneurs entêtés à maintenir le droit barbare qu'ils appellent domaine congéable. Une famille qui cultive une terre depuis 600 ans (!) est congédiée; les colons doivent tout abandonner a l'instant, sa ressource unique sera la mendicité ou plutôt tout ce que le désespoir peut lui suggérer. »


L'augmentation du nombre des congéments pourrait témoigner d'une misère accrue des domaniers, endettés, incapables de supporter la hausse des convenants et, de ce fait, expulsés. Ou, inversement, et de façon contradictoire, d'une rivalité et d'une spéculation sur les édifices qui restaient une bonne affaire, ce qui suppose la faiblesse des rentes convenancières.
Il serait aussi le signe d'une « faim de terre », faim de terre et rivalité des domaniers trop nombreux n'ayant pas assez d'exploitations pour exercer le métier ou pour réinvestir leurs capitaux.

Il peut aussi, en même temps, signifier autre chose. Quand Le Lagadec congédie sa belle-mère en lui payant son douaire, congédie aussi ses frères et ses sœurs, en leur remboursant leur part d'héritage ou encore lorsque Renaud congédie Renaud, comment ne pas voir que le congément est alors autre chose qu'une expulsion pure et simple?

Fonciers et domaniers n'ayant jamais dévoilé leurs mobiles, beaucoup d'explications demeurent plausibles.

Les traces des congéments


Les documents qui renseignent le mieux sur les congéments sont ceux qui font apparaître toutes les personnes qui avaient droit aux édifices, qui mettent en évidence les relations de parenté entre congédiants et congédiés, les échanges, les arrangements, les endettements et les désaccords. Ce sont les décisions de justice avec les comptes rendus des paiements des édifices; si ces comptes rendus apparaissent dans des registres paginés d'une juridiction, ils donnent un décompte exact des différents types de congéments pendant un certain temps, sur toute l'étendue de la juridiction, si le justicier est le seul qui exerce sur ce territoire.

D'autres documents : liasses de prisages (les prisages n'étaient pas tous « à fin de congément »), insinuations et contrôles des actes, permettent de dénombrer des congéments, mais non d'en saisir toutes les données.
Même avec les meilleures sources, il est nécessaire de recourir à d'autres documents. Dans un acte de congément, on apprend que Jean Pape congédie Olivier Meudec et consorts, au moins 8, mais, parmi lesquels il n'y a aucun Pape; apparemment, d'après ce document, aucun lien entre le congédiant et les congédiés. C'est seulement dans un autre acte, à l'occasion d'un partage entre les membres de la famille Pape, qu'on apprend que les Pape et les Meudec sont parents proches ". Il faut aussi remettre le congément dans un ensemble d'opérations effectuées sur plusieurs années parfois, et tenir compte du cadre juridique imposé par l'usement.

Le nombre des congéments




Ils existaient dans chaque usement; même en Rohan : « Sous l'usement et gouvernement du duché de Rohan, avec subrogation ou permission de congédier . »
II s'en compte quelques-uns, par paroisse et par an, au XVIIIe siècle. Dans les meilleurs des documents pour ce repérage, les contrôles des actes ou d'après des séries (factices) de prisages :
très souvent moins de 5 au XVIIIe siècle. Dans les 5 paroisses du régaire de Vannes : en tout 23 congéments en quinze ans, entre 1726 et 1741, 26 en dix ans entre 1747 et 1757, mais 30 en sept ans, entre 1773 et 1780.
Dans une très grande paroisse comme Grandchamp : 4 ou 5 congés par an au début du siècle et 7 ou 8 à la fin 7().
En utilisant conjointement des prisages et des registres de justice: 43 congés dans la paroisse de Plouagat, entre 1753 et 1788, dont 40 entre 1770 et 1788, soit 2 ou 3 congés par an dans cette dernière période. Assez souvent, on constate une hausse du nombre des congés à la fin du XVIIIe siècle. Tout dépend aussi de la façon de compter. Il y a des années sans un seul . Puis, d'un coup, une série de congéments, un congé en entraînant un autre, un même édificier ayant des droits dans diverses tenues.

Les congés étaient relativement moins nombreux que les ventes d'édifices. Le bureau d'Auray a enregistré 101 opérations de vente d'édifices, en un an, depuis août 1753 jusc^u'à juin 1754 , pour un total de 68 178 livres et, dans le même temps, 19 prisages en vue de congément, pour un total de 26 410 livres. Sur une valeur totale d'édifices de 94 588 livres, les congéments représentaient 28 % et les ventes 72 %. Si on considère le congément comme un transfert d'édifices, il ne représente qu'une faible partie du mouvement. Peut-il servir d'indicateur. Compter les congéments ne suffit pas. Il est tout aussi important de découvrir les réalités différentes qui se cachent sous le même nom. Tous les congéments ne se ressemblaient pas.

Quelques traits importants se dégagent. La plupart du temps, les congéments ne portaient que sur une part de la tenue. Les congéments s'effectuaient surtout par un subrogé. Le subrogé était, pour beaucoup de grosses affaires, un membre de la famille des domaniers congédiés.

Congés en totalité, congés en partie


Tous les congés n'avaient pas la même importance.
Parce que les tenues ii avaient pas la même valeur mais aussi parce que certains congés ne portaient que sur une partie de la tenue. Beaucoup de congéments n'étaient que des congés en partie, qui ne portaient que sur quelques parcelles de terre, sur quelques bâtiments et non sur l'ensemble de l'exploitation :

Pierre Tanguy congédiait Charles Le Baccou des édifices de deux pièces de terre d'une valeur de 65 livres, Pierre Le Boleff congédiait autre Pierre Le Boleff de la maison, la chambre, sa part sur l'aire de leur tenue commune.

63 % des congés étudiés dans Le Trégor, 86 % des congés étudiés en Cornouaille.
Congés de faible valeur : 63 % des congés du Trégor ne représentaient que 28 % de la valeur des édifices de tous les congéments; dans le Vannerais, 75 % des congés : 56 % de la valeur totale.
Fréquemment, il ne s'agissait que d'un pré, d'un parc, d'un jardin...

Inversement, les congés portant sur la totalité de la tenue étaient plus rares, mais de plus grande valeur.
Congéments dans la juridiction de Châtelaudren-Plouagat entre 1753 et 1788 : 71 (pour) 83 505 £

Congés par le foncier


Le foncier congédiait parfois lui-même. Il apportait le prix des édifices et payait lui-même les domaniers qu'il congédiait. Il réglait alors les frais de prisage et les journées perdues par les « défendeurs ». Dans ce genre de congément, des désaccords se manifestaient. Sur la date : le foncier congédiait en janvier, ce qui frustrait les domaniers car la récolte était sous-estimée. Sur la rente de l'année en cours que les édificiers ne voulaient pas régler en totalité... Sur des édifices construits sans permission.

Quand le foncier congédiait lui-même, il réunissait le fonds et les édifices Le congé portait sur la totalité des édifices, parfois sur une partie seulement Des paysans fonciers, ont, eux aussi, opéré des congéments de ce genre. Dans l'ensemble, les fonciers congédiaient rarement par eux-mêmes : 10 congés sur 193 en Cornouaille, 7 congés sur 72 dans le Trégor.

Congés par un "subrogé"


Bien plus souvent, c'est-à-dire, dans tous les autres cas, les congéments s'opéraient par un « subrogé », une personne à laquelle le foncier déléguait ses droits. Ce subrogé agissait à la place du foncier, il payait les édifices ci congédiait les domaniers...

Rarement le subrogé était un inconnu. Très souvent, c'était un consort. déjà propriétaire d'une partie des édifices et, très souvent aussi, il appartenait à la famille même des domaniers expulsés. Comme dans l'exemple de Le Lagadec-Luco.
Ces relations entre subrogé congédiant et domaniers congédiés ne se lisent pas toujours dans tous les documents. On peut parfois affirmer que cette relation existe, parce qu'elle apparaît expressément dans le document. Mais, si on ne la voit pas, on ne peut pas conclure qu'elle n'existe pas quand les documents ne donnent pas la liste des consorts et de leurs épouses.

(...)
Beaucoup de ces congéments par un subrogé, membre de la famille des congédiés, se passaient après le décès d'un père de famille.

Les motifs du congément


Réprimer.
Des congés sanctionnaient des infractions. Parce qu'il avait coupé un arbre alors qu'il n'avait droit qu'aux branches, un domanier des Chartreux d'Aurav fut congédié sur-le-champ; il dut payer une amende prise sur la valeur de ses édifices. De même, des domaniers qui ne payaient pas régulièrement leurs convenants

Purger les hypothèques.
Le congément purgeait les hypothèques : les créanciers devaient se payer sur la valeur des édifices; le congément effectué, rien ne subsistait de leurs créances. Un congé en partie suffisait parfois : on ne congédiait alors que ce qui était nécessaire pour rembourser le créancier, donc, pas toujours, la totalité des édifices. Celui qui devait 100 livres était congédié d'édifices valant 100 livres, le subrogé apportait les 100 livres, devenait propriétaire des édifices, le créancier empochait les 100 livres, le congédié n'avait plus de dettes, et il avait rterdu une partie de ses édifices. Dans un tel congément, du prix des édifices, il ne restait rien au congédié. Mais lui restaient les édifices qui n'avaient pas été compris dans le congément. Si les dettes étaient plus élevées, il fallait opérer un congé en totalité.

Maintenir l'unité de la tenue.
Lorsque l'unité de la tenue était menacée, si des édificiers réclamaient leur part, ne voulaient plus rester dans l'indivision pour le paiement de la rente notamment, le foncier subrogeait un des domaniers ou un étranger. Les édificiers recevaient leur part, et la tenue appartenait à un seul édificier. Peut-être les congés partiels, les congés par un des domaniers de la famille ou, aussi bien, par un étranger à la famille, répondaient-ils à cette politique du foncier.

Introduire un rival :
Un domanier qui avait accepte un convenant plus élevé, des nouveautés plus fortes. Des congés partiels étaient peut-être les conclusions d'entreprises qui avaient commencé par un achat. Que le foncier soit intervenu pour conserver l'unité de la tenue n'empêche rien. Il suffisait d'acheter; ensuite, le foncier intervenait et subrogeait celui des deux qui pouvait rembourser l'autre et accepter une hausse des conditions... Le domanier, qui dans un premier temps avait vendu, n'avait pas les moyens de racheter ses édifices, il devait accepter le remboursement de ce qui lui restait. C'est peut-être ce qui s'est passé dans le congément prévu par la baillée Lindrac, citée plus haut. Le congément empêchait l'intervention de la famille. Quand le domanier vendait, les édifices passant pour « immeubles », un lignager pouvait exercer le retrait. Mais quand le foncier ou son subrogé congédiait, les édifices passaient pour «meubles», et le retrait lignaner devenait impossible.

Échanger des édifices.
Sébastienne Le Goustre et son beau-frère Jean Le Roch étaient tous deux coédificiers de deux tenues différentes : Sébastienne Le Goustre (subrogée) congédia Jean Le Roch des édifices d'une tenue et Jean Le Roch (subrogé), à son tour, congédia Sébastienne Le Goustre des édifices de l'autre tenue...

Déguiser une vente.
Un domanier voulait vendre ses édifices, l'acquéreur obtenait une subrogation, les arpenteurs amenaient le prix des édifices an prix convenu d'avance... Ce fut peut-être le cas dans l'exemple suivant : Louis Rivalain demanda congé des édifices possédés par François Bienvenu. Le prisage monta à 2 301 livres. Mais Louis Rivalain, contestant le montant du prisage, fut « débouté du congé ». Or, bien que le congédiant soit déboute du congé, François Bienvenu, congédié, demanda à recevoir le prix des édifices, c'est-à-dire à être congédié.

Tromper des créanciers.
On obtenait un congément avant l'expiration de la baillée. Si le créancier ne se doutait de rien et ne se présentait pas au remboursement, son hypothèque ne valait plus rien.
« Ces manœuvres se font couramment dans le canton de Broërec », assuraient Poullain du Parc et de Boysiève.

Régler une succession.
Ce qui pourrait être l'explication de congémenrs effectués par un subrogé appartenant à la famille des congédiés.

Noël Tatou venait de mourir. À Plouagat, en 1785. Un de ses fils, subroge aux droits du foncier, congédia la veuve, sa mère, à qui il donna un douaire. | ses frères et ses sœurs, payant à chacun sa part d'édifices.

(...)
Les dettes payées, le remboursement effectué, un seul édificier possédait le tout des édifices, sans dettes, sans les dettes anciennes en tout cas.
Ce congé évitait, lui aussi, l'intervention du lignage.
A l'occasion d'un congément, des édificiers pouvaient « transporter leurs droits à un tiers »; et, dans ce cas, personne du lignage ne pouvait s'opposer par un droit de retrait. Ce congément réglait une succession et, en même temps, maintenait l'unité de la tenue. Même sous des aspects familiaux, le congément n'était pas forcément du goût de tout le monde.

.. Aujourd'hui. on ne voit que l'oncle congédier son neveu, le cousin congédier son cousin, le frère congédier son frère, le fils même expulser l'auteur de son l'auteur de son existence .. Demandez a nos pasteurs quelles sont les difficultés qu'ils ont à réconcilier leurs pénitents au sujet de ces malheureux congéments »

Les domaniers prévoyaient longtemps à l'avance l'apurement des comptes, les récompenses données à l'un des héritiers. Ecrivant à son notaire, un domanier organisait sa succession. 11 avait reçu de l'argent de son fils aîné pour tourner au profit de la maisonnée», il décidait que son fils serait dédommagé et recevrait les 2/3 des édifices, plus 200 livres.
Le foncier qui était au courant de ces projets écrivait au notaire pour les faire mentionner dans le contrat. Il est bien vraisemblable que s'il était nécessaire, le foncier subrogerait le fils aîné dans ses droits, que ce domanier congédierait ses cadets, et que ceux-ci lui paieraient 200 livres sur le tiers des édifices qui leur restait.

I Une succession, un règlement familial pouvait se conclure par plusieurs congés successifs. Ce qui pourrait expliquer pourquoi les congéments se produisaient par groupes.

(...) Dans toutes les séries de congéments, les congés par un subrogé de la famille tiennent une place importante. Et c'est une originalité qui donne au congément une signification particulière dans les relations entre les seigneurs et les paysans. Les congéments pouvaient traduire toutes sortes d'opérations. Et plusieurs , motifs pouvaient explicluer un même congément. Le congément défie l'interprétation unique. Il traduit, de toute façon, la haute main du foncier sur le destin de la tenue, et la force influence que ce foncier exerçait sur ses domaniers.

L'endettement des domaniers


Le total des édifices hypotéqués montre-t-il l'ampleur d'un endettement paysan? L'expression est mal choisie, car elle fait penser à l'endettement des foyers à l'égard de prêteurs étrangers. Or, ce n'était pas toujours le cas. Bien souvent, les prêts étaient effectués à l'intérieur d'une famille, des avancements d'héritages notamment, jusqu'au jour où un changement dans la répartition des édifices permettrait un remboursement général. Sur la tenue « Le Barbier », les dettes s'élevaient bien à 35 % de la valeur totale des édifices, mais ces dettes étaient dues par des frères et des sœurs à l'un d'entre eux.

Le congément était aussi l'occasion de nouvelles dettes et de nouvelles hypothèques. Lorsque le domanier (subrogé), qui congédiait, devait rassembler le prix total des édifices, il lui arrivait d'emprunter; dans sa famille ou hors de sa famille.

Joseph Renaud, domanier subrogé congédiant ses cohéritiers, dut emprunter 1 820 livres. Cet emprunt était parfois remboursé sur-le champ, lorsque le congédiant écait lui-même remboursé de ses créances. Parfois, l'emprunt subsistait... Le domanier qui empruntait hypothéquait ses édifices.

Le total impressionnant des hypothèques sur les édifices, à l'occasion des congéments ne montre pas l'endettement des pauvres domaniers congédiés, mais plutôt l'importance des efforts faits par les congédiants pour rassembler l'argent nécessaire au congément.

En effet, l'opération, appelée « relaissement », était parfois un prêt consenti « par les congédiés au congédiant », qui n'avait pas réussi à rassembler la somme nécessaire pour les rembourser de leur part d'édifices.

Ainsi Guillaume Renaud, domanier congédié, «relaissait» 250 livres à Joseph Renaud, son frère, qui venait de le congédier. Et ce prêt était un prêt à intérêt ec, Joseph Renaud, le congédiant, devait payer les incérêts à Guillaume, congédié et non pas l'inverse .

Dans cet exemple, ce ne sont pas les pauvres domaniers congédiés qui sont endettés, c'est le congédiant. Il ne suffit donc pas de faire la liste des relaissements, il faut encore regarder précisément les caractères de ces prêts.

Quant aux raisons qui ont poussé au relaissement, on peut effectivement penser que les congédiés, en prêtant de l'argent, essayaient, aussi, de conserver un pied dans la place.

Un fief anomal


Le domaine congéable était-il féodal, « un fief anomal », « hétéroclite et batard », « plutôt cérébreux »?
Le domanier était-il un vassal de son foncier? ? ou un homme de son domaine ?
La propriété du fonds n'est pas en question, le problème est de savoir si ia propriété des édifices était un fief, et si le domanier était un vassal de son foncier à cause de la possession des édifices. Il y a plusieurs réponses, tout dependant des circonstances.

La où l'usement faisait la différence entre le domaine congéable et les fiefs, même si le foncier avait pouvoir de fief, les édifices n'étaient jamais concédés comme un fief, et le domanier n'était pas un vassal :

c'était le cas au moins dans toutes les paroisses sous l'usement de Broërec. L'afféagement portait sur le fonds : pas d'afféagement des édifices; pas d'aveu; pas de «vassal»; pas de justice; pas de lods et ventes; pas de rachat (pour les édifices).

Là où l'usement assimilait les édifices à un fief, si le foncier n'avait pas puissance de fief, le domanier n'était pas un vassal. Mais si le foncier avait puissance de fief, le domanier était un vassal, les édifices s'afféageaient, le domainier faisait aveu. Ainsi, les domaniers sous l'usement de Rohan.

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Donc:, selon les cas, ici, les édifices n'étaient pas un fief, là, ils en étaient un. Domaniers et fonciers ont adopté, sur cette question, le point de vue qui convenait à leurs intérêts respectifs. (...)

La justice sur les domaniers


Le foncier avait-il justice sur son domanier? oui, en dehors du Broérec. ;
Mais seulement si le foncier était déjà, par ailleurs, un justicier. Il ne suffisait pas d'avoir le fonds d'une tenue à domaine congéable pour disposer, de ce fait, d'une justice.
Dans tous les usements, sauf le Broërec, les fonciers ont revendiqué l'exercice de la justice sur leurs domaniers, et ce droit, accepté lors de la rédaction des coutumes, en 1580, leur fut reconnu par les commissaires lors de la réformation du terrier en 1673-1680.

Par exemple, les moines de l'abbaye de Langonnet furent maintenus dans leur droit « d'exercer la juridiction sur leurs hommes domaniers et dans les bois ». Et pour beaucoup d'autres fonciers : « Sur leurs domaniers comme sur les hommes de fief... »

Mais, bien sûr - Hévin le précise - si le foncier n'était pas déjà un justicier. le fait d'avoir un domanier ne lui donnait pas une juridiction.
L'exercice de cette juridiction fut effectif... Le foncier faisait procéder à des inventaires, intervenait lorsque le domanier ne payait pas ses rentes, et faisait procéder au congément.

Une forme de servage ?


Pas de taille à volonté. Pas de corvées à merci. Pas de formariage. Pas de forfuyance. Pas d'obligation de résider, sauf en Rohan. Pas de mainmorte Les édificiers n'étaient pas vendus, échangés... avec les édifices.
Le domaine congéable n'a que de lointaines ressemblances avec le servage.
Tout de même, la mainmorte en Rohan, avec des restrictions au mariage imposées aux aînés, la haute main sur la tenue, l'interdiction de diviser la tenue, le congément... laissaient au foncier une autorité qui, si on le veut, peut rappeler la servitude.