Histoire secrète des Montagnes Noires de J.F. Boedec

Extrait : le brigand de la FONTENELLE à LAZ


Ce petit ouvrage très accessible rassemble les récits historiques et les légendes des paroisses / communes des Montagnes Noires à raison d’un chapitre par commune. Sont ainsi traitées non loin des limites du pays de Bannalec : Laz, Leuhan, Coray, Saint Goazec, Roudouallec, Gourin ainsi que d’autres communes plus éloignées. Voici le passage sur la paroisse de Laz et le célèbre brigand de la Fontenelle.
1592 : Les montagnes Noires, repère du sinistre La Fontenelle.

Ce 20 mars 1592, de bon matin, à l'orée de la forêt de Laz, cinq cavaliers puissamment armés galopent vers le sud-est, en direction de Gourin et de Vannes. À leur tête, le célèbre Jean Eder de La Fontenelle. Depuis le début de cette année 1592, la forêt de Laz, déjà réputée dangereuse pour les voyageurs, n'avait jamais abrité de pires brigands que les 400 soldats de La Fontenelle. Après avoir écume la région de Saint-Brieuc, celui-ci songeait à étendre ses garnisons en Cornouaille.

En janvier 1592, il s'installa dans la forêt de Laz. Les habitants de Châteauneuf-du-Faou furent vite exaspérés par ses opérations lucratives : vols, prélèvements arbitraires de deniers, de bestiaux, de meubles, rapines diverses, viols, incendies... Sur ces entrefaites, François Hervé, notaire de Châteauneuf-du-Faou et député aux états de la Ligue,envoya au nom des habitants une plainte du duc de Mercoeur. Le 20 mars 1592, les députés furent convoqués au Logis de la Tête noire, une auberge réputée de Vannes. Ce soir-là, il y avait belle chère et noble compagnie : Yves Lors, procureur des habitants de Concarneau, Guillaume Normand, secrétaire de monseigneur le duc de Mercoeur, Jean Breut, François Hervé...

Jean Eder de La Fontenelle avait eu vent de récriminations contre lui. Il voulait se rendre par surprise au Logis de la Tête noire intimider François Hervé. Dans la grande salle de l'hostellerie,devant un feu de bois crépitant, la discussion battait son plein :« II est prouvé, s'exclamait Jean Breut, que le sieur de La Fontenelle a pillé les habitants de Châteauneuf-du-Faou, ravagé et tué, avec de grandes hostilités, avec beaucoup d'autres cruautés insolentes, commises par lui et les siens, que les plus grands ennemis n'eussent voulu commettre ! » À peine eut-il achevé sa phrase que la porte s'ouvrit brutalement, laissant apparaître La Fontenelle. Beau, fier, élégamment vêtu, il s'avança vers Jean Breut et l'interpella en ces termes en lui mettant le poing sous le nez : « J'ai entendu que vous estes venu faire plainctes de moy en ces estatz, mais, par la mort de Dieu! Regardez bien ce que vous direz, car selon ce que vous direz, je vous coupperé le col! » Les gentilshommes présents se regardèrent dans les yeux, stupéfaits, mais guère intimidés : la sombre forêt de Laz et les pillards de Jean Eder étaient bien loin... Dans les heures qui suivirent, le duc de Mercoeur fut rapidement prévenu. Après enquête immédiate, il fit arrêter La Fontenelle et le plaça dans la prison de Vannes.

Un document du « Fonds des États de Bretagne » - en vieux français - daté du 29 décembre 1592 nous montre les procédés odieux et la sauvagerie employés par les soldats de La Fontenelle dans les montagnes Noires : « La licence des gens de guerre en votre pays a été et est telle et si déréglée sur votre pauvre peuple, qu'ils n'ont omis, ni épargné aucune espèce de violences pour épuiser la subsistance, et ont exercé toutes les cruautés que la corde, le fer et le feu leur ont pu administrer pour rançonner le paysan laboureur et le marchand du plat pays innocent, et après les avoir misérablement tourmentés et gênés en leurs personnes pour extorquer leurs deniers; pillé, brûlé leurs maisons et meubles qu'ils ne pouvaient emporter, ont finalement pris le bétail, jusqu'aux porcs, et non contents de tant d'outrages ont violé femmes et filles, sans aucune distinction d'âge; encore ont contraint pour leurs pères à racheter leurs enfants pupilles, et les maris leurs femmes,et réduit votre peuple a une telle extrémité qu'il a été contraint d'abandonner maisons et familles, et cherche l'espoir et la sûreté aux forêts, entre les plus cruelles bêtes, néanmoins la rigueur de l'hiver, aimant mieux habiter avec les animaux sauvages et cherche leur vie que de languir et mourir prisonnier, entre les mains de gens de guerre, de tourments, de faim et d'ennui faute de moyen de se racheter; et se sont tellement dépouillés qu'ils ont dénié les corps morts en leur prison à la parentelle pour les inhumer, jusqu'à les racheter, faisant languir les vivants avec les corps des morts en leurs dites prisons, ce qui a tellement ruiné votre peuple, que les paroisses entières se voient désertes, les grosses bourgades abandonnées de tous leurs,habitants et ne se peut espérer aucun paiement de vos deniers, le soulagement de vos affaires et la nécessité au dit pays. »

Jean Eder de La Fontenelle ne restera pas longtemps dans les prisons de Vannes. Grâce a ses nombreuses relations, il sera libéré et, retournera vers la forêt de Laz avant d'attaquer deux ans plus tard à coups de canons la forteresse du Granec en Landeleau pour y établir. Ayant appris un jour qu'il quittait Le Granec pour s'en aller guerroyer du côté de Morlaix, plus d'un millier de paysans des environs se réunirent pour assiéger la place et le peu de garnison qui y restait.Le siège dura huit jours mais La Fontenelle revint et passa à l'attaque une nuit ou les paysans se reposaient. Il leur tomba dessus avec soixante cavaliers, forçant les retranchements mal gardés. On dénombra près de huit cents victimes après la bataille. L'abbé Moreau raconte que « non content de ce carnage, La Fontenelle refusa aux parents des victimes la permission d'enlever les blessés, et même les morts, pour leur rendre les derniers devoirs et par ainsi demeurèrent corrompre sur la face de la terre sans que personne osât braver la défense du tyran qui faisait tuer à coup d'arquebuse quiconque tentait de s'en approcher. »

La Fontenelle sévira ensuite dans la région de Carhaix, ainsi que son émule, le capitaine-bandit Yves du Liscouët. Un terrifiant personnage qui, la main tranchée lors d'une bataille, « s'en fit placer une de fer, à ressorts, si habillement exécutée qu'il s'en servait comme d'une main naturelle pour manier l'épée ».