Les Grandes Terres Montagnonnes de Vennes de Jean Girard

Extraits ...


Les Grandes Terres Montagnonnes de Vennes de Jean Girard (1982) retrace l'histoire des communautés du val de Vennes c'est à dire des seigneuries de Vennes et de Chatelneuf (voir à cette page pour identifier les communautés concernées). La période étudiée s'étend jusqu’à l’occupation par les suédois dans les années 1630. L’auteur dresse un tableau complet et documenté de la vie des habitants et du fonctionnement des institutions. Pour le généalogiste c'est un document d'une qualité et d'une profondeur exceptionnelle concentré sur une population de quelques milliers de personnes. En voici quelques extraits :

Le village d'Orchamps en Vennes

(...) Qu'Orchamps soit favorisé par son site et puisse ainsi avoir vocation à devenir la capitale des terres de Vennes, c'est là une évidence géographique; si le village épanoui au pied de la butte de Montalot mais au milieu de l'axe longitudinal du Val, ne domine pas la région avant les "guerres de Bourgogne", c'est que la quasi autarcie de l'époque féodale et donc les échanges réduits ne le permettent pas. Dès que le Comté fut soumis à l'administration rigoureuse du parlement de Dôle, dépêchant sans cesse dans les diverses seigneuries une foule d'officiers, de messages, d'enquêteurs, Orchamps, bien placé au débouché du col des Hagues, était appelé à devenir au xvi ème siècle un centre prépondérant qu'avait peut être pressenti Claude de LA PALUD insistant, en 1480, pour y créer une foire , car aux cavaliers venant apporter des instructions s'ajoutèrent des marchands qui fréquentèrent cette grande manifestation commerciale et le petit peuple paysan des alentours qui courait à ses marchés et à ses Halles.

Mais Orchamps devint véritable capitale lorsqu'au 16ème siècle, face à sa belle église en construction, s'élèvera l'audience de justice qui vit affluer régulièrement les ressoortissants de toutes les terres de Vennes ayant procès et procura des emplois variés aux gens aisés qui s'embourgeoisaient; alors les chatelains des deux grandes seigneuries eux-mêmes, abandonnent les chateaux, vinrent s'installer sur les lieux et y batirent de belles demeures.

Le village avait terriblement souffert des Suisses, tombant de 41 feux en 1474 (entre 200 et 250 habitants) à 16 mais, galvanisé par les circonstances favorables précédemment analysées, Orchamps se relève, atteint 156 feux et 749 habitants en 1593; un tassement s'observe ensuite puisque'on n'y recense que 123 feux en 1615; apres les guerres le village en reconstruction, ne comptera plus que 100 feux et 432 habitants en 1657; le renouvellement démographique y semble plus important qu'ailleurs (dans le val de Vennes) car ce village, moins rural,que les autres localités, a tissé de multiples relations avec les diverses seigneuries du Comté.

Des patronymes connus des le XIII ème siècle : SEGUIN, BLANCHARD, JACQUOT, HUMBERT, d'autres mentionnées en 1383 : les MIGARE, GROS PERRIN, MILLOT,se perpétuent; puis apparaissent les GUYOT, BRENOT, LAGASSE, FAIVRE,; à l'extrême fin du Moyen Age, les noms les plus souvents cités sont les CHOULET? MILLET ou MIGNET, LANGAL, FILSJEAN, JACQUELIN; au milieu du XVI ème siècle sont fréquemment signalées, sans affirmer qu'elles sont bouvelles, les familles VALOT, NICOD, MAGNIN, PEQUIGNOT, GIRARDOT, PERCEROT, CACHOT, LABERT, BASSAND, VERNIER, JEANTOT, PERGAUD, SIMONIN, DEPIERRRE, VIEILLE, VIET, BOILLIN.

Orchamps n'a qu'un gros hameau satelllite : Bonnelin, qu'habitent en 1592, plusieurs membres de la famille VOICHOT, mais des granges isolées se batissent sur les finages.
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Les exploitations

(...) Quelle que soit la forme juridique de la possession : terres libres des affranchis, terres serviles des mainmortables, l'exploitation commune est désignée sous le nom de meix terme qui a survécu dans de nombreux lieux dits ; c'est l'ancienne "manse" ou le "mas" des régions méridionales.

Bouleversée par les successions et les ventes, l'étendue de ces meix va se diversifier au cours des ages; le document le plus précieux à cet égard est le texte même de la charte de 1383 qui suggère la surface jugée suffisante pour nourrir une famille; lorsque les soldats paysans viennent maisonnetter près du chateau de Chatelneuf que l'on vient d'achever, le comte de La Roche, Henri de Villersexel, leur attribue à chacun dix journaux de terres aux Rondaiges (environ 4 hectares) et dix fauchées de prés plus difficiles à estimer. On peut néanmoins affirmer que sur ce terroir, une famille pouvait vivre en exploitant un meix ne dépassant pas huit hectares. On remarque le dosage voulu entre les terres et les prés c'est à dire entre la culture et l'élevage.

La charte qu'avait concédée quelques décennies auparavant, Louis de Neufchatel à la Grand Combe des Bois est sur ce point moins précise : la surface n'est pas indiquée, mais là aussi, les terres avaient été distribuées en lot rigoureusement identiques, parcelles longilignes de 60 toises de large filant en direction du Doub. A chaque véritable habergement les pionniers durent recevoir des surfaces égales comme on le constate au Barboux en 1351.

Mais ce découpage régulier d'ailleurs propre à la montagne, ne persiste pas : au gré des héritages et des aliénations, l'étendue des meix se modifie meme si la part la plus considérable des patrimoines revient, selon le droit coutumier,aux plus capables des garçons.
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Rien ne met plus en évidence la disparité des meix que l'inventaire des biens en 1538, de la famille JOLY de Guyans, parents éloignés descendants d'un ancêtre commun : Pierre JOLY, le plus riche laboureur dispose de 35 journaux de terre et de 15 soitures de prés ; Etienne JOLY, marié à Claude JEANNEROT de Guyans, exploite 17 journaux de terres labourables et 12 soitures de prés situés presque en totalité aux Seignottes de Froidmont; Claude JOLY, d'ailleurs endetté n'a que 14 journaux de terres et une soitture de pré; puis, énorme différence, Jeantot JOLY n'a qu'un journal aux "Champs Blanchot" une soiture de pré aux Gey et un petit verger autour de sa maison, tandis que Jacques JOLY n'a que 2 journaux qu'il jardine, l'un au lieu-dit "Esburon", l'autre au Jabot.
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Il nous faut distinguer toutes ces exploitations constituant les meix, de la propriété foncière qu'accaparent peu à peu les bourgeois : au début du 16 ème siècle, ceux ci achètent systématiquement les parcelles qui sont mises en vente; ils rassemblent ainsi une grande gamme de terres, dont la valeur est inégale, qu'ils louent ensuite séparément aux paysas comme le fait en 1619 Antoine PERGAUD, d'Orchamps; ce dernier était parvenu à se constituer une propriété considérable de 101 journaux dont quelques uns boisés et de 115 parcelles, disséminées surtout dans les trois villages d'Orchamps, de Grandfontaine et de Fuans. Sans doute avait il profité de ses fonctions de bannelier de Chatelneuf en 1599 puis, quelques années plus tard, d'amodiateur de la seigneurie de Vennes pour réaliser des opérations avantageuses.

A partir du 16ème siècle, on avait vu se multiplier les "granges" qui sont juridiquement de véritables fermes ou métairies : de riches propriétaires disposant de vastes terres en confient l'exploitation l'exploitation à un "ténémentier", le "grangier", moyennant une somme fixée en espèces mais plus souvent une portion en nature des récoltes et du croit des animaux
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Mais combien était préférable le métayage ou propriétaires et exploitants se partageaient récolte et croits selon une quote part fixée; ce sont ces types de granges que construisent et supervisent les finances bourgeoises
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La maison

(...) Bien que par sa nature peu sensible aux transformations, la maison rurale des terres de Vennes et de la montagne a subi des avatars.

Ce qui semble permanent depuis les temps les plus reculés et quelle que soit la dimension du batiment, c'est le curtil qui, toujours l'entoure; il s'agit d'une basse cour cernée d'une haie d'épines, poussant en abondance dans les friches : aubépines, prunelliers, églantiers, épines-vinettes, et laissées libre de croitre ici pour dessiner des clotures à l'intérieur desquelles s'ébattent les volailles. Mais le matériau de la maison proprement dite a évolué ; il semble que, mis à part les chateaux et les églises, le bois entre pour l'essentiel dans la construction médiévale.
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au début du 16 ème siècle après les guerres de Bourgogne apparaissent sur les grimoires des tabellions et notaires "les maisons de pierres et de bois" matériaux contrastant qui caractérisent encore aujourd'hui l'habitation de la montagne. (...) La pierre blanchâtre, abondante partout, servait à édifier la base des murs; si l'on en juge par les vestiges des chateaux, la technique des liants devait être sommaire, les joints étant confectionnés d'une glaise peu consistante.

Le reste était construit en bois : lattes, laons, chevrons, poutres taillés par les charpentiers ou acquis dans les rasses régionales; (...) Pour l'étage, les combles, les granges, la maison était donc largement tributaire du bois et même pour la couverture faite d'ancelles, petites planchettes juxtaposées formant carapace qu'il fallait remplacer périodiquement à cause du pourrissement; elles reposaient sur des lattes soutenues par la charpente, "la ramure"; leurs entretien assurait un travail sans chomage aux "retecteurs de toits". Seules , quelques batisses étaient couvertes de pierres plates, "les laves" extraites de carrières spéciales : les lavières; en raison du poids considérable de la toiture ainsi constituée, imputrescible et imperméable lorsque les laves étaient bien imbriquées, elles coiffaient aux époques primitives les constructions qui s'appuyaient sur de solides murs de pierres, princialement les sactuaires comme l'église du prieuré de aLaval ou celle de Bizot; cependant au 16 ème siècle, la couverture de lave commencait à gagner quelques habitations comme la ferme tenue par les Barsot aux Cerneux de Laval. Quand aux tuiles plates, on ne les voyait que sur les batiments importants : les maisons fortes de Vennes et Chatelbneuf ou l'audience d'Orchamps.

Souvent, des planchettes de bois imbriquées, "les tavaillons ou tavannes" habillaient les murs exposés aux pluies, formaient une cuirasse ligneuse, empêchant l'humidité de se propager par les liants; avant l'arrivée des suédois, l'église de Guyans avait ses goutteraux revêtie de tavannes.

Homogêne par sa substance, 'habitation ne l'était nullement par le volume : les maisons différaient par la taille, exprimée en une unité de mesure "le rain"; que de diversité depuis la modeste demeure d'un rain occupée par les Vuillement de Plaimbois-Vennes, la maison déjà importante de 3 rains habitée au Mémont, par Antoine Bardot à l'orée d'une petit bois, jusqu'à l'énorme batisse comme il s'en trouvait une au Mont-de-prel, appartenant à Francois Parrenin, de la Cloche du Russey, qui abritait pas moins de 4 familles
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En revanche se manifeste d'autres caractères communs : les habitations, en général sont trapues : c'est le cas des maisons de culture, tassées, formant bloc, pour abriter les animaux et jouir de leur chaleur ; mais l'aspect ramassé est propre à toutes les batisses parce que dans la plupart des, le logement se concentre au rez de chaussée surmonté immédiatement par le grenier; à à l'extrême fin du 16 ème siècle, il est très rare qu'une maison dispose d'une "chambre haute" et l'on devine à travers les textes que le fait d'en posséder une confère au prestige
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Les batisses, donc assez basses, ont des murs épais pour protéger du froid, percés d'ouvertures étroites que l'on bouche non pas avec des verrières qui commencent seulement à se répandre dans les chateaux, mais par des treillages soutenant parfois des papiers badigeonnés d'huile pour les rendre translucides.

Un des éléments les plus célèbres de la maison montagnonne, le fameux "tuéz", vaste cheminée en pyramide, où l'on pend les viandes à fumer, surmontant la cuisine, la "", et percant les combles, est signalé la première fois en 1570 à Longeseigne, village de la paroisse de Bonnétage; Hugues Cuenin y réside "dans une maison avec tuez fait de laons de bois"; cette sorte de couvercle était ouvert à son sommet quand on le désirait par des "touvenots" actionnées par des cordes depuis la "tô".

Autre caractéristique que la levée de grange permettant aux chars lourds de foin ou de récoltes de se hisser par une rampe en pente douce aux greniers de l'étage en utilisant les accidents de terrain qui entourent la maison; elle figure en 1621 sur le derrière d'un batiment d'exploitation acheté à Grandfontaine par "demoiselle veuve d'Antoine Boillin" mais le document ne fait que constater un appendice qui devait exister depuis longtemps. (...)