Bannalec à travers les ages de Marcel KERVRAN

Extrait : La guerre de la ligue à Quimerc'h (1597)





Une bataille a eu lieu en 1597 sur le territoire de Bannalec aux abords du chateau de Quimerc'h; elle opposa durant la guerre de la Ligue les troupes de Henry IV à celles du duc de Mercoeur, partisan des ligueurs. Marcel KERVRAN a retrouvé un témoignage de cette bataille :

Les guerres de la Ligue

En 1576, certains milieux catholiques s'avisèrent que le roi de France
Henri III était par trop complaisant vis-à-vis des protestants, dans sa volonté d'apaisement et d'unité nationale. Un parti d'ultras prit naissance en Picardie, province gouvernée par un huguenot, le prince de Condé. Ce mouvement extrémiste catholique essaima très rapidement à travers toute la France, sous la bannière d'Henri de Guise, surnommé Le Balafré après une blessure au visage provoquée par une arquebuse hérétique.

La Bretagne, se considérant toujours comme un état souverain et indépendant, refusa, lors de la réunion de son Parlement le 1er mars 1577, tout appui à quelque parti que ce soit, arguant de sa grande volonté de paix civile, condamnant ainsi les quelque six ou sept douzaines d'exaltés protestants, venus du manoir de Portzcadic en Rédéné, près de Quimperlé, qui s'emparèrent de la ville-close de Concarneau le 17 janvier précédent, coup de main audacieux, certes, mais vain, puisqu'ils durent abandonner le port comouaillais cinq jours après, sous la pression musclée des catholiques de la région.

Le culte calviniste se greffait mal en Bretagne, pays foncièrement attaché à l'Eglise romaine et bien tenu en main par un clergé puissant et omniprésent dans toutes les paroisses et trêves. Henri III pensait compter sur la fidélité de l'Armorique quand tout bascula, le 5 septembre 1582, par la nomination de son beau-frère, le duc de Mercœur, à la haute charge de gouverneur de Bretagne.

Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, s'avérera être l'homme le plus retors, le plus fourbe de son siècle. Cousin issu de germain d'Henri de Guise, fervent catholique, intelligent, cultivé, mais piètre chef de guerre, sa nomination à la tête du gouvernement de la Bretagne se révélera être une erreur, un crime qui mettra notre pays à feu et à sang après la Vendée et le Poitou.

Il avait épousé en 1575, Marie de Luxembourg, duchesse de Penthièvre en titre, bien qu'ayant fort peu de sang breton dans les veines, mais son père avait été, quelques années auparavant, gouverneur de notre province. En 1585, le duc de Mercœur obtint, pour son compte personnel, deux places fortifiées bretonnes, Dinan et Concarneau, après avoir auparavant sollicité auprès du roi celles de Nantes et de Saint-Malo, puissantes forteresses verrouillant les entrées de la Bretagne.

Des combats acharnés vont semer la désolation et la misère dans toute la péninsule bretonne.

Enfin 1593 ! Henri IV abjure au mois de juillet le protestantisme et se fait sacrer roi catholique, à Chartres, le 27 février de l'année suivante.


Le contexte de la bataille de Bannalec


La guerre entre catholiques voit sa raison d'être s'éteindre ; la Ligue perd de son influence en France, mais en Bretagne, le duc de Mercœur et le roi d'Espagne rêvent toujours du duché breton indépendant, l'un pour lui-même, l'autre pour sa fille. Leur cause était pourtant perdue d'avance, les Bretons étant las de ces combats fratricides, mais, pendant quatre années, Mercœur et Philippe II vont finasser, louvoyer, se compromettre à tour de rôle avec le roi de France pour finalement se trouver brouillés avec tout le monde.

En 1594, Henri IV décide d'en finir avec ces deux trublions; il envoie un vieillard de 73 ans, le maréchal d'Aumont remettre de l'ordre en Bretagne. Excellent militaire, fin diplomate, le maréchal reprend sans combat Rennes, Concarneau et Redon ; après un siège statique, Morlaix et Quimper reviennent dans le giron royal. Les Espagnols, terrés à Roscanvel, sur la rade de Brest, se font proprement écraser.

En 1596, la pacification de la Bretagne est à moitié achevée quand le maréchal d'Aumont meurt à Rennes de gangrène, mais il reste encore aux mains du duc de Mercœur une douzaine de places fortes.

Henri IV continue la reprise en main de la Bretagne avec douceur et doigté, évitant les représailles, pourtant justifiables, contre les chefs ligueurs repentis.

Partisan d'une cohabitation pacifique entre ses partisans et ses opposants, il accorde généreusement son pardon à ceux qui renient Mercœur. L'ancien gouverneur de Bretagne est aux abois et doit accepter une trêve de quatre mois entre décembre 1595 et avril 1596.

Charles de Cosse, comte de Brissac, maréchal de France prend la tête des armées royales après le décès du maréchal d'Aumont. Le duc de Mercœur, de ses places fortes de Nantes, Vannes, Hennebont, Pontivy et Josselin tente encore quelques raids meurtriers, mais ceux-ci échouent lamentablement devant l'hostilité des Bretons, las de ces joutes stériles et ruineuses pour l'économie de la région.

La dernière bataille rangée de Basse-Bretagne se déroulera à Bannalec, la première semaine de septembre 1597. Commencée le 2 septembre, cette bataille se terminera quatre jours après par un grand combat, marquant ainsi la fin de la Ligue en Cornouaille.

Ce combat nous est ainsi raconté par un Ligueur, le chanoine Moreau du diocèse de Quimper, conseiller au Présidial de Quimper, décédé le 23 juin 1617 :

La bataille de Bannalec


« Le baron de Mollac, avec ce qu'il pouvait avoir de Français et le régiment de Suisses, qui était de sept à huit cents hommes, par une très grande diligence, étant arrivé à Quimperlé, trouve que l'ennemi avait (s'était) déplacé et pris le chemin à travers pays entre Quimperlé et le Faouët, et qu'il pouvait bien être vers Guiscriff ou Sca'ér, ce qui fit au baron tourner tête.

Cependant le sieur de la Grandville (d'Aradon de la Grand-Ville était le commandant de Ligueurs} ayant appris par espions que l'ennemi le cherchait, vint le rencontrer à Kymerc'h. Les autres, de ce avertis, en furent fort aises, et s'y en vont avec une forte résolution de se bien frotter.

La rencontre fut donc en la rabine de Kymerc'h, vis-à-vis du château {selon la tradition populaire, ce combat eut lieu tout au long de la grande allée bordée d'arbres qui se trouve devant les anciens étangs, parallèlement à la façade du château, à l'extrémité de la chaussée-digue qui conduisait aux ponts-levis).

Ceux de l'union, qu'on appelait, par un nom odieux, ligueurs, tinrent entre la rabine et ledit château, (c'est à dire sur la chaussée; étant donné la surface de celle-ci, on peut estimer que les Ligueurs ne disposaient que de deux cents à trois cents hommes) espérant en être favorisés, si besoin en était y avoir retraite, d'autant que le seigneur dudit château {René II de Tinténiac; certains auteurs ont écrit qu'il s'agissait de son fils Michel Colomban, mais celui-ci ne naquit qu'en mars 1602) avait jusque alors tenu le même parti qu'eux, savoir celui du duc de Mercœur ; et voulant s'assurer de cela, il leur fît faire réponse qu'il était neutre et ne se mêlerait ni pour les uns et les autres, et n'ouvrirait sa maison à aucun ; ce qui fâcha beaucoup les ligueurs, qui ne laissèrent néanmoins de bien faire et de mettre leur espérance en leur valeur. {René II de Tinténiac n'abaissa pas ses ponts-levis, sachant pertinemment que depuis deux ans, le parti des Ligueurs était en pleine déconfiture et que les catholiques modérés, ralliés à Henri IV depuis sa conversion de février 1594, ne lui auraient pas pardonné d'avoir accueilli cette bande extrémiste à Bannalec et protégé des rebelles plus connus pour leurs exactions que pour la sauvegarde de la foi chrétienne).

Ils attendirent donc en cette résolution l'ennemi, qui les venaient trouver aussi allègrement au long de la rabine. A l'arrivée, la charge fut fort furieuse et sanglante, et s'acharnèrent si opiniâtrement les uns contre les autres, qu'après six heures de combat on jugeait que, depuis la bataille des Trente {en 1351), il ne fut pas plus vigoureusement combattu. Le plus grand échec fut en un parc de genêt entre le château et le chemin, {route du Trévoux à Bannalec qui passait alors près du château de Quimerc'h —cette lande de genêts se situe entre l'emplacement du moulin de Quimerc'h, à l'est du château, et Locmarzin), auquel, comme sur un théâtre, chacun parti joua sa tragédie au péril de son sang, plusieurs fois repoussant et plusieurs fois repoussé, tantôt battant et puis battu.

Le baron de Mollac {Sébastien de Rosmadec de Molac était gouverneur de Diman et apparenté à la famille de Goarlot de Kernével, propriétaire de la Véronique, qui s'appelait alors LocMaria, à Bannalec; il mourut en 1626) n oublia rien, comme étant le chef, tout dépendant de lui, étant brave et vaillant capitaine, se fourrant aux plus grands dangers, faisant devoir de capitaine et de soldat.

Si les Suisses eussent aussi bien fait que les Français, le combat n'eût pas tant duré; mais la charge était si chaude qu'ils ne voulaient que difficilement saisir la haie {ils avaient des difficultés à tenir la ligne du front de bataille); cependant le capitaine Eriac {Erlach, commandant la troupe suisse, dont le frère fut tué à Quimerc'h), avec une partie des siens, fit fort bien. Ceux de la Grandville n'en faisaient pas moins, que bien à propos rafraîchissaient les leurs à mesure qu'il en était besoin; et ledit Granville monte sur un grison bien maniable, se faisait remarquer par dessus tous les autres, même en cette mêlée, jusqu'à ce que, chargeant les Suisses, pensant es rompre il fut atteint d'un coup de pique au défaut de la cuirasse, dans les flancs, duquel coup il fut abattu de cheval et tué sur la place qui fut le seul de marque qui en mourut de leur parti, mais ce seul équivalait bien un grand nombre d'autres. Il fut fort regretté, même des ennemis et de tous ceux qui le connaissaient pour l'avoir vu ou de réputation. Aussi était-il beaucoup recommandable, et avait-il de belles qualités et plus que son âge ne portait {d'Aradon ou d'Arradon de la Granville était natif du château de Quinipily en Baud; son frère Jérôme, maréchal des corps et armées du roi Henry III fut un des meilleurs soutiens du duc de Mercœuret dirigeait la place forte a Hennebont pendant la guerre de Ligue à partir de 1590. Henri IV lui accorda son pardon en 1598).

Ceux de cette ville de Quimper plaignirent sa mort et avec raison.Sans lui, qui arriva avec un secours fort à propos, Lézonnet {royaliste commandant la place-forte de Concarneau) se serait emparé de la ville au détriment de plusieurs; et encore qu'ils eussent changé de parti depuis si ne laissèrent-ils pas le regretter. {Le chanoine Moreau fait, dans cette digression, allusion au siège de Quimper par les royalistes en 1594 mais revenons au combat de Quimerc'h). Le sieur de Lestialla, qui était de la compagnie du baron de Mollac se saisit de son cheval, qui était fort beau, comme nous avons dit un peu auparavant. Il fut plus prompt au butin qu'au combat; aussi ne fut-il pas blessé. De la part des royaux y moururent les sieurs de Kersalaun {Euzenou de Kersalaun était aussi apparenté aux Kermeno de Goarlot en Kemével et devait être parent de son capitaine, le baron de Rosmadec de Molac) jeune à marier et Beaulieu (Cahideuc de Beaulieu), capitaine d'une compagnie de gens de pied, et plusieurs autres gentilhommes du pays et soldats, desquels je n ai pas oui les noms, mais plus de Suisses que d'autres, qui furent furieusement chargés dedans ledit parc, lorsque le sieur de la Grandville v fut tue. N'ayant d'autre haie que leurs piques, leur capitaine Eriac {Erlach) y fut blessé en une jambe, dont il guérit peu après. Le baron de Mollac y fut aussi atteint dans un pied d'une légère blessure. Le seigneur de Kymerc'h, qui porte le surnom de Tinténiac, étant en haut d'une tour de son château de Kymerc'h, jugeait des coups en sûreté, car il voyait tout ce qui se passait mieux que s'il eût été du combat, n'étant pas plus éloigné que la portée de l'arquebuse. Le nombre {de morts) fut grand d'une et d'autre partie, mais plus grand côté des royaux ; toutefois la perte fut plus grande de l'autre par la perte du sieur de la Grandville, leur chef. Voilà en somme la ruineuse rencontre de Quimerc'h »

Destruction de la chapelle de Loc-Maria, conclusion de la guerre de la Ligue


Cette relation du combat de Quimerc'h en septembre 1597, est l'unique récit du dernier combat de la Ligue en Basse-Bretagne. Le chanoine Moreau, partisan du duc de Mercœur marque uniquement sa compassion pour le jeune d'Aradon de la Grandville, tué au combat et quelque dépit pour la prudente neutralité de René II de Tinténiac qui, du haut de sa tour, compte les coups. Nous ne savons pas combien de cadavres restèrent sur le champ de bataille mais la tradition veut qu'il furent enterrés au lieudit Kerveret, le mot breton «bered» signifiant cimetière.

On pense que c'est également après leur défaite de Quimerc'h que les Ligueurs, dans leur fuite, détruisirent la chapelle de Loc-Maria sur le fief du Goarlot se vengeant ainsi de Rosmadec de Molac et d'Euzenou de Kersalaùn, alliés par mariage au titulaire de cette seigneurie. La chapelle de Loc-Maria sera remplacée en 1605 par celle de la Véronique.

Qu'advint-il de la troupe des Ligueurs décimée? Elle traversa tout le cœur de la Bretagne intérieure pour rejoindre le duc de Mercœur retiré derrière les murailles de Dinan, dernier bastion des rebelles à Henn IV dans la seigneurie de Penthièvre. Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, ancien gouver-neur de la Province de Bretagne capitula le 18 mars 1598. Le séjour d'Henri IV à Nantes, du 13 avril au 6 mai 1598, marqua la fin de la Ligue, après dix années de guerre civile bretonne où tous les malheurs s'abattirent sur notre région : incendies, pillages, famine et, pour couronner le tout, en 1598, des foyers d'épidémie de peste et une invasion extraordinaire de loups jusque dans les villages et les villes.

Mercœur obtint le pardon d'Henri IV et demanda au roi l'autorisa-tion d'aller se battre contre les Turcs. Nommé généralissime de l'armée chrétienne d'Europe en octobre 1599, il mourut de maladie le 19 février 1602 à Nuremberg, alors qu'il revenait de Belgrade pour rentrer en France.

Le chef de la Ligue ultra-catholique avait 43 ans et, curieuse ironie du sort, il rendit son âme à Dieu dans une ville protestante.